LES TRULLI OU CASEDDE D'ALBEROBELLO (PROVINCE DE BARI, ITALIE) The trulli or casedde of Alberobello, province of Bari, Italy, Christian Lassure
I - LES TRULLI. RÉSUMÉ HISTORIQUE ET ARCHITECTURAL Le trullo (pluriel trulli) est un type de bâtiment rural très répandu dans la Murgia dei trulli, plateau situé entre les villes de Bari, Brindisi et Tarente dans la région des Pouilles en Italie du Sud. Au sens premier, il s'agit d'une cabane aux murs et à la coupole en pierre sèche abritant une cellule à usage d'habitation dont l'entrée est couverte d'un fronton. S'y agrègent une ou deux pièces plus petites servant au repos nocturne ou à la cuisine et au chauffage et s'ouvrant sur la pièce centrale par un arc clavé. C'est principalement dans ce sens originel que le terme de trullo est employé dans la présente étude. Selon le cas, le trullo peut être une habitation temporaire ou saisonnière ou une habitation permanente de petits paysans et d'ouvriers agricoles. On en rencontre des témoins éparpillés dans la campagne mais aussi une véritable agglomération à Alberobello dans la province de Bari. La zone la plus riche en trulli est la Valle d'Itria, entre Alberobello, Locorotondo, Cisternino et Martina Franca.
1. De la casedda au trullo Le terme italien il trullo (du grec τρούλος : coupole) est la forme italianisée du terme dialectal truddu employé dans une zone bien définie de la péninsule salentine (Lizzano, Maruggio, Avetrana) (et donc en dehors de la Murgia dei trulli), où il désigne spécifiquement la cabane à voûte de pierres sèches, clavée ou encorbellée. Trullo (pl. trulli) a supplanté le terme dialectal casedda (pl casedde) (en italien casella, pl. caselle) par lequel les autochtones de la Murgia désignent une habitation faite d'un trullo ou de plusieurs trulli (1). Cette acception récente est également employée dans la présente étude. Le maçon-tailleur de pierre spécialisé dans la construction de trulli est dit trullisto ou encore trullaro en italien. Le terme dialectal est caseddaro (pl. caseddari), maçon constructeur de casedde (2). (1) Benito Spano, La Murgia dei trulli, chapitre VII de La casa rurale nella Puglia, 1970, p. 184, note 2 : «Trullo est à proprement parler la forme italianisée du mot truddu (d'un mot grec signifiant coupole) sous lequel, dans certaines zones du Salento (dans une tout autre région donc que celle de la "Murgia dei Trulli"), on désigne la variété locale de cabane de pierre à fausse voûte, utilisée seulement comme abri et construite (...) en forme soit de tronc de cône, soit de tronc de pyramide. S'il arrive par ailleurs d'entendre des habitants de la "Murgia" prononcer également ce vocable qui n'appartient pas à leur dialecte, c'est que ce vocable est devenu à présent une expression courante en langue italienne pour désigner leur casedda. Mais au terme adopté par l'usage courant les autochtones donnent la même signification qu'au mot correspondant de leur idiome, utilisant davantage trullo pour indiquer l'habitation entière, en tant qu'ensemble des cellules à trullo qui la composent, que pour distinguer une partie constitutive prise dans son intégralité volumétrique depuis le carré de la base jusqu'au faîte du toit. Il est certain en tout cas qu'aucun habitant des trulli n'utilise ce terme d'importation pour désigner de façon spécifique – contrairement à ce que d'aucuns ont affirmé – la seule couverture en cône coiffant la construction de base. (2) Christian Lassure et Martine Seemann, Vocabulaire italien-français de l'architecture rurale en pierre sèche (réédition actualisée de l'article paru en 1979 dans la revue L'architecture rurale), sur le site pierreseche.com, 16 novembre 2002. 2. Extension géographique La plupart des trulli se trouvent dans la Valle d'Itria, territoire qui coïncide avec la partie méridionale du haut plateau de Murgie (Murgia en italien) et qui comprend les communes d'Alberobello, Locorotondo, Cisternino et Martina Franca. Dans cette plaine maillée par un réseau de murs en pierre sèche (parietoni) délimitant des vignes et des oliveraies ou bordant des chemins vicinaux, les trulli sont omniprésents dans l'habitat dispersé mais se rencontrent aussi dans les agglomérations (de là vient l'appellation Murgia dei trulli) (3).
En dehors de la Murgie des trulli, les constructions à trullo se rencontrent dans la péninsule salentine, la plaine côtière autour et au nord de Bari et près de Monte Sant' Angelo dans les monts de Gargano. L'absence de trulli entre ces quatre zones tient à la discontinuité dans la présence de pierres appropriées (4). Seuls les trulli de la Murgie des trulli faisaient l'objet d'une occupation permanente. Dans les trois autres zones, leur occupation était temporaire et saisonnière : abris durant la journée aux champs, cabanes occupées à l'époque de la moisson ou de la vendange, remises à outils (5). (3) Desplanques Henri, Deux études sur la maison rurale dans le Mezzogiorno : C. Colamonico, O. Baldacci, A. Bissanti, L. Ranieri, B. Spano, La Casa rurale nella Puglia, et M. Cataudella, La Casa rurale nel Molise], in Annales de géographie, année 1972, vol. 81, n° 446, p. 473-475 : « La région des trulli, qui comprend plus de 200 000 habitants, s'étend sur environ 1000 km2 autour d'Alberobello et de Locorotondo. Elle correspond à un îlot d'habitat dispersé, bien que ce type de construction se retrouve aussi dans les agglomérations ». (4) Edward Allen, Stone Shelters, The MIT, 1969, third printing 1974, 210 p., p. 29. (5) Edward Allen, op. cit., p. 29. 3. Contexte géologique La Murgie est une région karstique, où les eaux pluviales ne restent pas en surface mais s'enfoncent à travers les fissures du substrat calcaire pour suivre un cours souterrain jusqu'à l'Adriatique. L'eau nécessaire à la vie quotidienne doit être recueillie dans des citernes (6).
Le paysage est vallonné, alternant collines et dolines karstiques à une altitude d'environ 420 m au-dessus du niveau de la mer. (6) Anthony H. Galt, Far from the Church Bells: Settlement and Society in an Apulian Town, Cambridge University Press, Cambridge, 1991, xiii + 276 p., p. 19 : « Winter rains drain through the soil into fissures in the strata of limestone bedrock, and flow through underground watercourses into the Adriatic. There is no permanent surface water, and water for living purposes must be trapped in catchment basins and cisterns ». (7) Anthony H. Galt, op. cit., p. 19 : « The surface forms a landscape of rolling hills and ridges punctuated now and again with dolines and other forms of enclosed depressions characteristic of karsts ». 4. Évolution historique 4.1 L'habitat dispersé 4.1.1 Le trullo, un bâtiment rural par définition Le trullo est un type de bâtiment éminemment rural. Avec ses murs à l'épaisseur considérable et son incapacité à permettre des structures à étage, il gaspille énormément d'espace au sol et s'avère pour cette raison mal adapté aux habitats à forte densité même si le fait d'être bâti avec de petites pierres lui donne une flexibilité et une adaptabilité de forme des plus précieuses dans les milieux urbains où l'espace manque (8). Dans la campagne, les trulli étaient construits individuellement ou par paires, par groupes de trois, quatre ou cinq, ou parfois en de grandes fermes (masseria, pl. masserie) d'une douzaine, voire deux douzaines de dômes, mais jamais pour loger plus d'une seule famille rurale (9).
Des pièces sous trullo de diverses tailles, augmentées de diverticules et de renfoncements, pouvaient être mises bout à bout de bien des façons pour répondre à des besoins simples ou complexes. On pouvait construire des trulli sans beaucoup dépenser grâce au matériau disponible sur place. Mais il y avait des inconvénients : l'énorme emprise des murs porteurs au sol, l'impossibilité de bâtir à l'économie des structures à étage(s), la nécessité de couvrir tout espace d'un cône demandant des centaines d'heures d'un travail requérant compétence et patience (10). Les trulli ruraux, sur les terres bon marché, cessèrent d'être construits quand le coût de la main-d'œuvre commença à augmenter au XXe siècle. À lui seul, le coût de la manutention des centaines de tonnes nécessaires à une seule habitation devint prohibitif (11) (8) Edward Allen, op. cit., p. 84 : « The trullo is a rural building type. With its immensely thick walls and its inability to form multi-story structures, it is extremely wasteful of ground space, and in this way is ill-suited to high-density settlement although being constructed of small stones it has a flexibility and adaptability of form which are extremely useful in tight urban situations ». (9) Edward Allen, op. cit., p. 84 : « (...) trullo domes were built singly and in pairs, in groups of three or five, or sometimes in great farmyard clusters of a dozen or two dozen, but never for the occupancy of more than a single rural family ». (10) Edward Allen, op. cit., p. 83 : « Trullo chambers of varying sizes, amplified as necessary with nooks and niches, could be strung together in many ways to satisfy the simplest or most complex of needs. Trulli were cheaply built from available material. But there were also aspects that were less than ideal: the vast ground coverage of the walls; the inability to economically build structures of more than a single story; the unvarying need to roof every space with a tall cone requiring hundreds of hours of remarkably skilled, patient work ». (11) Edward Allen, op. cit., p. 84 : « The rural trulli, on cheaper land, ceased to be built when the cost of labor began to rise in the twentieth century. The sheer expense of handling the hundreds of tons of stone necessary for a single house became prohibitive ». 4.1.2 Locorotondo : les trulli viticoles Autour de Locorotondo, dans la province de Bari, l’habitat dispersé à trulli, déjà présent à la fin du siècle précédent, s’est développé dans le courant du XIXe siècle par un mouvement de population de la ville vers la campagne. Au milieu du XIXe siècle, les deux tiers de la population de la commune habitent en milieu rural (12).
Pour inciter des habitants à s’installer sur des terres non exploitées de leurs domaines, les grands propriétaires fonciers, soucieux d’accroître leurs revenus, morcellent leurs terres en parcelles qu’ils louent par bail emphytéotique, à charge pour les preneurs de créer des vignes (13). Dans le premier quart du XIXe siècle, des villageois partent donc s’installer dans la campagne environnante où ils se construisent des huttes (abituri). Des hameaux (jazzelere), constitués principalement d’habitations à trulli, se forment autour d’une aire commune (jazzile), devenant de petits villages vers le milieu du siècle (14). Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, la transformation de champs en vignes par des tenanciers sous bail emphytéotique connaît un développement considérable si bien qu’en 1871, environ un quart de la surface de la commune est occupé par le vignoble (15). À partir des années 1880, du fait de l’accroissement de la demande nationale et internationale en vin provoquée par la crise du phylloxéra, et en raison de la baisse soudaine du prix des céréales, on assiste à la généralisation à d’autres communes de la Murgie de ce qui s’est passé à Locorotondo et, dans une moindre mesure, à Cisternino : l’extension de la viticulture stimule la création de trulli et l’accroissement de la population rurale dans son ensemble (16). En 1905, la vigne, à Locorotondo couvre 46,67 % des terres signalées comme cultivées dans le cadastre ultérieur de 1929. En 1929, le vignoble occupe un peu plus de la moitié de l’ensemble des terres agricoles et des surfaces forestières (17).
(12) Anthony H. Galt, op. cit., p. 140 : « The evidence shows, then, that by the beginning decades of the nineteenty century a peasant population was well established in Locorotondo’s countryside, and migration would continue, so that by mid-century fully two-thirds of the municipality’s population dwelled rurally ». (13) Anthony H. Galt, op. cit., p. 140 : « Emphyteutic leases were used by landowners seeking to increase their income from land that was marginally attractive for agriculture by encouraging the creation of vineyards ». (14) Anthony H. Galt, op. cit., p. 125-126. (15) Anthony H. Galt, op. cit., p. 152 : « Emphyteusis and transformation of property already under the control of small proprietors in the countryside of Locorotondo accounted for considerable expansion of surface area given to vineyards over the second half of the nineteenth century. (…) by 1871 about a quarter of Locorotondo’s surface area consisted of vineyards ». (16) Anthony H. Galt, op. cit., p. 151 : « During the later nineteenth century, especially beginning in the 1880s, because of international demand for wine created by phylloxera and industrial develoment in the north, and stimulated by the sudden drop in cereal prices, patterns already well established in Locorotondo, spread to the other towns of the Murgia. The spread of viticulture stimulated the construction of trulli and an increase in rural population in the general area ». (17) Anthony H. Galt, op. cit., p. 152 : « By 1905, according to data supplied to the Provicial Chambers of Commerce, vineyards in Locorotondo covered 2,125 hectares or 46.67 percent of the productive portion of the territory reported in the 1929 cadaster (…). By 1929 vineyards accounted for slightly over half of agricultural and forest surface area. Similar expansions occurred elsewhere on the Murgia dei Trulli ». 4.2 L'habitat groupé 4.2.1 Alberobello : du défens à l'agglomération Tous les documents consultés, du milieu du XIVe siècle à la fin du XVIe, mentionnent le site d'Alberobello principalement comme selva (litt. « forêt ») et dans certains cas comme défens, c'est-à-dire zone où il est défendu de faire paître le bétail. Aucun indice n'existe quant à la présence d'habitations avant le XVIIe siècle (18). Émile Bertaux, qui se rendit dans les Pouilles à la fin du XIXe siècle, écrit, en 1899, que « les villes de trulli sont de formation récente ». Il signale qu'Alberobello « était encore il y a trois siècles une vaste selva, moitié maquis, moitié forêt d'yeuses et de chênes ». À l'endroit où s'élève aujourd'hui la ville, il n'y avait au commencement du XVIIe siècle qu'une chapelle dans les bois (19). Le « plan du territoire de Mottola » établi en 1704 par Donato Gallerano, montre clairement différents modes d'occupation humaine sur ce territoire : d'une part des villes comme Putignano ou Noci, situées au sommet des petites collines qui caractérisent le paysage de la Murgie du Sud-est, d'autre part un ensemble de trulli à l'abri d'un grand bois et qui constituent le petit habitat d' Arbore bello (c'est-à-dire « Bel arbre », Arbore étant une forme ancienne et littéraire d' albero, arbre en italien). Avant ce plan, les sources cartographiques désignent Alberobello comme lieu-dit et non comme centre habité (20).
Dans la carte géographique dessinée par Giovanni Antonio Rizzi Zannoni en 1808, apparaît très distinctement la selva d'Alberobello et, situé dans une clairière, un habitat de maisons éparses qui présente de nombreuses ressemblances avec l'actuel centre habité (21).
Dans une photographie du quartier (rione) « Monti » de 1894, les constructions à trulli, loin d'avoir la densité actuelle, sont encore entourées d'enclos cultivés en jardins et on aperçoit encore le cours sinueux d'une ancienne sente. Est également visible une de ces maisons classiques à toiture à deux pans, couverte en lauses, dite cummersa, (22) dont la construction récente était ressentie comme une dénaturation par un érudit local de la fin du XIXe siècle (23).
Les maisons à trulli encore visibles aujourd'hui datent des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Après avoir connu une densification importante dans les premières décennies du XXe siècle (24), cet habitat a été victime d'un mouvement d'abandon dans la deuxième moitié du XXe.
(18) Angelo Ambrosi, Raffaele Panella, Giuseppe Radicchio, a cura di Enrico Degano, Storia e Destino dei Trulli di Alberobello - Prontuario per il restauro, Schena Editore, 1997, p. 12 : « ci sembra opportuno osservare che nessuna testimonianza precedente al sec. XVI suggerisce la presenza nel luogo della 'silva de Arbore bello' di un insediaménto umano » (NDLR : sec. XVI en italien = 1600-1700, soit XVIIe siècle en français). (19) Émile Bertaux, Étude d'un type d'habitation primitive, in Annales de géographie, année 1899, vol. 8, n° 39, pp. 207-230. (20) Angelo Ambrosi et al., op. cit., p. 12 : « C'è da precisare che le fonti cartografiche precedenti a questa data riportano Alberobello come località, ma non appare mai l'indicazione di un abitato ». (21) Angelo Ambrosi et al., op. cit., p. 12 : « Nella carta geografica disegnata da Giovanni Antonio Rizzi Zannoni nel 1808, appare la "Selva" di Alberobello e, chiaramente situato in una radura, l'abitato di case sparse, ma con un dettaglio del "costruito" che ha molte somiglianze coll'attuale centro abitato ». (22) Luigi Mongiello, Genesi di un fenomeno urbano, Quaderni dell'Istituto di disegno, Facoltà di Ingegneria - Università di Bari, 1978, 109 p., en part. p. 81 : « Il Bertacchi ha publicato nel 1897 una fotografia del rione "Monti" sulla quale è possibile effetuare alcune constatazioni. Le costruzioni a trullo, oggetto della ripresa fotografica, esistono ancora, immutate, ma non sono più contornate dagli spazi recintati e coltivati ad orto, inoltre, il nucleo abitato non presenta la saturazione attuale, anzi, si riesce a leggere il profilo della collina e l'andamento sinuoso di alcune antichi "tratturi" che lo percorrono. Risultano anche evidenti alcune fabbriche, se pure coperte con "chiancarelle", hanno i tetti con spioventi a due falde, ossia le prime insinuazioni spurie risalgono a cento anni ». (23) C. Bertacchi, Una citta singolare: Alberobello, in Rassegna tecnica, vol. XIV, 1897, pag. 199 e pag. 230 : « Il distacco violento fra il vecchio ed il nuovo, quella stonatura di costruzioni recenti, quasi civettuole, atteggiate ad una eleganza assoluamente disadatta alla fisionomia naturale del paese, in mezzo alla gravità severa dei coni anneriti, mi ha fatto l'impressione di una offesa al senso storico, al senso estetico e persino, lasciatemelo dire, al senso morale ». (24) Des photos du début et du milieu du XXe siècle montrant des ruelles d'Alberobello, sont visibles dans l'article en ligne : Les trulli ou casedde d'Alberobello (province de Bari, Italie) à travers les cartes postales et photos anciennes : II - Photos de la première moitié du XXe siècle, sur le site pierreseche.com, en date du 5 janvier 2011. 4.2.2 Interprétations d'érudits locaux Selon certains érudits de la première moitié du XXe siècle, c'est le comte de Conversano, Giangirolamo II Acquaviva d'Aragon, qui fit bâtir en 1635, à côté de cette chapelle, la villa seigneuriale autour de laquelle vinrent peu à peu s'agglutiner des maisons à trulli. Voulant créer un fief indépendant de la Cour du Royaume de Naples sans l'autorisation du Roi, il concéda à un groupe de colons le droit de cultiver la terre (en zone franche) et de se construire des habitations, à condition que celles-ci soient réalisées sans l’emploi de mortier de chaux pour être démolies facilement puis remontées. Les trulli n’étaient pas recensés comme habitations « légales » et les paysans qui les habitaient émargeaient comme habitants du village de Noci voisin, garantissant aux feudataires des avantages tributaires et une occupation plus vaste du territoire (25). Toujours selon ces érudits, la selva (en français « selve » ou « sylve ») se libéra en 1779 de la vassalité et se défit de l'obligation de construire uniquement des maisons en forme de trullo. En dehors de la villa seigneuriale, la première maison urbaine à rompre avec la technique de construction à trulli et à employer du mortier, aurait été la Casa d'Amore, sur la place du Plébiscite, ainsi nommée d'après le nom de son commanditaire, le maire Francesco d'Amore. Il s'agit d'une maison à un étage, à façade en pignon, couverte toutefois d'une bâtière de lauses sur voûte en berceau. Une inscription donne comme date d'édification 1797 (26).
Ces explications se heurtent toutefois à un constat. Luigi Mongiello, professeur d'architecture à la Faculté d'ingénierie de Bari, fait remarquer que les trulli édifiés au début du XXe siècle, donc bien longtemps après l'édit de Giangirolamo II Acquaviva et le décret de Ferdinand IV de Bourbon, sont construits par superposition d'assises de pierres et de lauses sans aucune trace de mortier (alors que les parements internes sont parfaitement enduits). Cela implique que l'absence de mortier dans les structures à trulli est un dogme inhérent à la tradition séculaire des artisans bâtisseurs locaux et, partant, que l'explication de « la démolition instantanée en cas d'inspection » ne tient pas (27). (25) Giuseppe Notarnicola, I trulli di Alberobello dalla preistoria al presente, Unione Editoriale d'Italia, Roma, 1940, p. 43. (26) Angelo Ambrosi, Raffaele Panella, Giuseppe Radicchio, op. cit., p. 30-31. (27) Luigi Mongiello, op. cit., p. 48 : « L'osservazione in loco comporta una riflessione. Le fabbriche edificate agli inizi del 1900, cioè assai lontane ormai, come fatto temporale, dall'edito di Gian Girolamo di Acquaviva e dal decreto di Ferdinando IV di Borbone, risultano costruite con una sovrapposizione di filari di pietre e di "chiancarelle" senza alcuna traccia di malta, mentre i paramenti interni sono perfettamente intonacati. Tale procedura genera la convinzione che alla base della secolare tradizione degli artigiani locali è codificato il dogma che nella compilazione della struttura "trullo" non vi è esigenza dell'impiego di malta, pertanto, non puo ritenersi valida la tesi della "istantanea demolizione" in caso di ispezioni ». 4.3 Millésimes La campagne de recensement des édifices en pierre sèche des Pouilles italiennes conduite par l'Institut de dessin, figuration et relevé de la Faculté d'Ingénierie de Bari, a permis de collationner quelque 63 millésimes gravés dont le plus ancien est 1559 (mais peu sûr) et le plus récent 1956. La liste en a été publiée par le professeur Enrico Degano en 1990 (28). Plusieurs enseignements se dégagent de l'examen de cette liste : (28) Enrico Degano, La campagna di rilievo dei manufatti in pietra a secco della Puglia, in Angelo Ambrosi et al., op. cit., pp. 375-446, en part. pp. 401-404 (2.2.0. Caselle datate). 5. Description 5.1 Matériaux et mode d'emploi Selon les zones, le matériau de construction employé pouvait être du calcaire compact ou du tuf blanc. Dans les zones de calcaire compact, les constructeurs trouvaient à fleur de sol soit des lits épais donnant des pierres d'appareil, soit des lits minces donnant des lauses de couverture (les chiancharelle, ou chiancaredde en dialecte local) (29) comme à Alberobello. Cette stratification des calcaires durs avait l'avantage de rendre superflue la taille des faces de lit. Le creusement préalable d'une citerne (cisterna), indispensable dans cette région sans eau, livrait une première quantité de pierres. Ces matériaux sont employés généralement a seco (à sec, sans mortier), sauf pour les claveaux, liés au mortier de chaux, de la voûte en berceau brisé ou en dôme bâtie au-dessus de la citerne sur laquelle repose, dans bien des cas, le sol de la maison (30). (29) Emile Bertaux, Étude d'un type d'habitation primitive, in Annales de géographie, année 1899, vol. 8, n° 39, p. 207-230, en part. p. 212 : « toute cette région est une vaste carrière de pierre calcaire fort compacte et nettement stratifiée ». (30) Edward Allen, op. cit., p. 80 : « If a cistern had been dug, it was capped with a lime-mortared barrel vault or dome which in many cases supported the floor of the house ». 5.2 Murs Les murs sont montés directement sur la couche rocheuse apparente, après dégagement éventuel de l'humus. L'épaisseur des murs porteurs va de 0,80 m pour les moins épais à 2,70 m pour ceux du Trullo Sovrano (31). Leur hauteur (jusqu'au départ du voûtement) va de 1,60 m à 2 m. Leur parement extérieur présente un fruit de 3 à 5%. (31) Cf. I PINNACOLI, sur le site de la municipalité d'Alberobello : « Lo spessore dei muri dei nostri Trulli va da un MINIMO DI 80 cm. fino ai 270 cm del TRULLO SOVRANO ». 5.3 Plans Il y a le trullo élémentaire, construction de plan circulaire qui servait le plus souvent d'abri temporaire pour le bétail, les fourrages ou le paysan lui-même.
Il y a le trullo de plan carré, soit isolé, soit faisant partie d'un groupe de trois, quatre ou cinq trulli, disposés en file ou en tas et formant un ensemble où chaque trullo correspondait à une pièce différente : cuisine, chambre, étable, local pour les denrées ou les outils, four, citerne (32). Dans ce dernier cas, à une seule pièce à coupole sont venues s'agglutiner, au fil du temps, d'autres pièces à coupole pour former une habitation complexe.
Dans la ville d'Alberobello, la norme semble avoir été un ou au maximum deux trulli car dans les documents notariés on ne trouve pas de référence à la construction de caselle de plus de deux coupoles : una casella consistente a due cupole, un trullo a due cupole, un casa a due cupole (33). (32) Henri Desplanques, op. cit., p. 475. (33) Angelo Ambrosi et al., op. cit., pp. 65-66 (L'abitazione a trullo nelle descrizioni notarili). 5.4 Couvrements La particularité des trulli réside dans la forme conique des couvrements (toits). Extérieurement, ces cônes sont constitués d'une couverture de lauses, les chiancarelle, disposées en assises concentriques et légèrement inclinées vers l'extérieur (34) pour empêcher les infiltrations d'eau de pluie. Leur pureau (ou partie découverte) est plus marqué dans les parties les moins pentues des dômes. Les lauses sont posées sur l'extrados d'une voûte en pierres taillées dites chianche, voûte qui est soit encorbellée et simplement couverte d'une dalle terminale (sans effet de clavage), soit clavée et bloquée au sommet par une pierre, la serraglia (clef de voûte).
Au niveau de la naissance de la voûte se trouvent des poutres en bois ayant servi à porter un échafaudage intérieur au moment de la construction. Employées par la suite pour suspendre des outils, de la vaisselle, ces poutres peuvent être aussi les supports d'un plancher (tavolato) accessible par une échelle en bois et servant (autrefois) de grenier (solaio) où entreposer grain, aliments secs, farine, et d'espace d'appoint où dormir (35). Une autre fonction de ce plancher est d'empêcher la chaleur de monter dans le cône quand on chauffe (36). Le cône de couverture, sauf dans les exemples les plus récents, a une génératrice non pas rectiligne mais curviligne. Il s'évase à la base de façon à recouvrir également les angles de l'édifice, quand il ne se poursuit pas au-delà pour couvrir les diverticules – alcôve(s), pièce à feu (camino di fuoco), porche d'entrée – accolés à la pièce centrale et communiquant avec elle.
(34) Luigi Mongiello (op. cit., p. 27) donne une pente de 15° aux chiancarelle. (35) Edward Allen, op. cit., p. 81 : « To provide for storage of dried foodstuffs, grain, flour, and miscellaneous household items the interior of the major dome in each house was fitted with a wooden ''solaio'' or ''tavolato'', an attic platform at the level of the springing of the vault, reached by means of a wooden ladder ». (36) The Land of Point & The White City, sur le site reidsitaly.com : « the cone-like roof is usually blocked off by a ceiling of wooden planks, which serves to keep the heat down ». 5.5 Pinacles Un pinacle de pierre calcaire ou gréseuse (pinnacolo) coiffe le cône. Ces pinacles sculptés, qui présentent des formes variées (disque, boule, cône, vasque, polyèdre ou leur combinaison), sont non pas des symboles héraldiques mais la signature des maçons-tailleurs de pierre qui ont édifié ces bâtiments (37). On dit aussi que le caractère plus ou moins ouvragé du pinacle reflétait la plus ou moins grande aisance économique ou importance sociale de la famille dont il ornait la maison (plus le pinacle est ouvragé, plus il coûte cher). On a évoqué également une émulation entre les couvreurs, chacun d'eux s'efforçant de dépasser les autres par le caractère élaboré de ses pinacles. En dehors de ces explications, il faut savoir que le pinacle pèse sur le cône et, ce faisant, renforce la stabilité des dernières assises. Certains cônes sont tronqués et terminés par une grande dalle circulaire posée sur un opercule. Un escalier extérieur, ménagé dans les chiancarelle, permet d'y accéder : il s'agit de trulli destinés à conserver le foin (38).
(37) Cf. I PINNACOLI, sur le site de la municipalité d'Alberobello : « Principalmente sono scolpiti in pietra e rappresentano la FIRMA del Mastro trullaro che li ha edificati e che molto spesso coincideva con l' appartenenza della famiglia. Non simboli araldici, ma semplici e geniali elementi decorativi legati alla CIVILTA' CONTADINA che ha elevato queste incredibili strutture in pietra (...) ». (38) Edward Allen, op. cit., fig. 16 et pp. 110-111 : « a trullo for hay storage can be identified by its truncated top and its outside access stairway ». 5.6 Baies Les baies sont rares en dehors de l'obligatoire porte d'entrée. Celle-ci se signale dans la majorité des cas par la présence d'un fronton couvert d'une bâtière de lauses qui se raccorde insensiblement au cône central. Cette bâtière peut être plus ou moins marquée selon que l'encadrement de l'entrée soit précédé ou non d'une embrasure extérieure plus ou moins profonde. Celle-ci recèle parfois deux coussièges en pierre.
Une petite fenêtre réservée dans la façade ne procure guère de jour et de ventilation à l'intérieur. De fait, l'intérieur des trulli peut être très sombre (39). Un fenestron réservé dans le cône éclaire et aère chichement le volume au-dessus du plancher central. Un enduit d'argile appliqué sur les parois intérieures, en plus des creux et interstices à l'intérieur de la muraille, permet à celle-ci de respirer (ce n'est plus le cas lorsqu'on a mis un enduit de mortier ou de ciment). (39) Paula Hardy, Abigail Hole, Olivia Pozzan, Puglia & Basilicata, Lonely Planet, 2008, 248 p., p. 124 : « However, (...) due to the compact nature of the Rione the trulli have few windows and can be quite dark ». 5.7 Aménagement intérieur L'eau de pluie était recueillie soigneusement du toit conique de chaque trullo et canalisée vers une citerne creusée sous la maison (40) ou sous la cour attenante.
Les trulli ou caselle d'habitation possèdent une cheminée (camino, en dialecte fucarile) sous forme de foyer ouvert dont le conduit traverse la coupole (41) et se prolonge par une souche maçonnée (comignolo) coiffée par deux tuiles mécaniques disposées en bâtière ou par une dalle carrée posée sur des billettes. Dans certains cas, la souche est coiffée d'un abattant en bois que l'on abaisse ou relève selon la direction du vent (comignolo con tavoleta in bilico). De par sa conception, le trullo est difficile à chauffer : les murs sont trop épais et l'air chaud monte dans les cônes.
Autre solution pour le chauffage : une chaufferette centrale dont les braises réchauffaient la pièce et sur laquelle un cadre en bois permettait de faire sécher quelques vêtements (un spécimen en est conservé au musée du terroir – Museo del Territorio – à Alberobello). En été, l'épaisseur des murs et la hauteur des voûtes font que l'intérieur reste frais dans la journée, même en période de canicule. Toutefois, le soir, du fait de l'abaissement de la température extérieure, la pierre chauffée toute la journée se met à restituer la chaleur accumulée, si bien qu'on étouffe à l'intérieur du fait du manque de ventilation. En revanche, pendant certains mois (avril et octobre) les nuits peuvent y être froides même si les journées sont chaudes. En hiver, les murs restent froids et condensent l'humidité issue de la respiration humaine et des activités de cuisine et même devant le feu on a du mal à se réchauffer. Les habitants laissaient donc la porte ouverte pendant la journée pour que l'humidité s'en aille et passaient plus de temps dehors que dedans (42). À Alberobello, certaines tâches ménagères se faisaient à l'extérieur, à même la ruelle, ainsi que l'attestent des cartes postales et des photos des années 1950 et 1960 : lessive, étendage du linge, couture, tricotage, écossage des petits pois, etc.
Au nombre des aménagements intérieurs, on trouve, outre la cheminée, des niches et des étagères de pierre où mettre des objets domestiques, religieux ou décoratifs. Des alcôves, réservées dans l'épaisseur des murs et voûtées en berceau, servaient de lit aux enfants, protégées par un rideau. Le sol est occupé par un dallage. La pièce et la calotte intérieures et souvent le mur extérieur sont enduits d'un mortier et blanchis au lait de chaux (43), d'une part pour empêcher l'air de passer dans la maçonnerie sèche, d'autre part pour que davantage de lumière pénètre dans les intérieurs obscurs lorsque la porte est ouverte (44). Certains trulli possédaient un escalier extérieur permettant d'accéder à la base des toitures (à défaut on se servait d'une échelle en bois), où l'on mettait à sécher des figues, des tomates, des haricots. Dans les trulli anciennement à usage d'écurie ou d'étable, on peut encore voir des mangeoires réservées aux animaux (45). (40) Henri Desplanques, op. cit., p. 474. (41) Emile Bertaux, op. cit., p. 213. (42) Edward Allen, op. cit., p. 81-82 : « The immensely thick stone walls and dome of the trullo, pleasantly cool in the summer, tend to become unpleasantly cold during the winter months, condensing the moisture given off by cooking and breathing and making it difficult to feel warm even in front of the fire. (...) The inhabitants simply leave the doors open during the day to keep the interior dry, and live more outdoors than in (...)». (43) Emile Bertaux, op. cit., 213. (44) Edward Allen, op. cit., p. 82 : « Lime plaster was [...] commonly applied to the interior of a trullo for protection against drafts. In nearly all cases, except in trulli used for storage or stables, the interior was whitewashed, both for cleanliness and to make the most of the light entering through the open doorway and the tiny windows ». (45) The Trulli of Puglia I, sur le site Life in Italy : « The family livestock and horses normally occupied one or more of the adjacent Trulli and it is still possible to see the troughs they fed from, now converted into decorative features ». 5.8 Façades et pignons 5.8.1 Surhaussement de la façade Dans certains trulli urbains, le mur de façade est parfois rehaussé et arasé de façon à dissimuler la base des cônes de toiture et donner l'illusion d'une maison classique.
5.8.2 Adjonction d'un mur-façade À Martina Franca, Locorotondo et Cisternino, certains trulli à plusieurs dômes présentent en façade un mur rajouté, à l'épaisseur et au fruit très marqués, qui masque la base des toitures. L'épaisseur de ces murs va de 1 à 1 m 50, leur hauteur de 3 à 5 m. Un escalier latéral réservé dans la maçonnerie permet d'accéder à une étroite terrasse entre le mur et les cônes. Dans certains cas, les pignons et l'arrière de l'agrégat peuvent faire l'objet du même traitement. En même temps qu'on a édifié ce mur-façade, on a percé des fenêtres et agrandi la porte d'entrée, et ce faisant amenuisé la solidité des dômes. Le mur-façade fait alors office de contrefort (46). Ces façades en trompe-l'œil peuvent être associées à des panneaux peints polychromes (47).
(46) Enrico Degano, La campagna di rilievo dei manufatti in pietra a secco della Puglia, in Angelo Ambrosi et al., op. cit., pp. 375-446, en part. pp. 430-436 (3.0.3. Osservazioni sulle qualità abitative di trulli). (47) Melvin Charney, Architectures sans architectes : les trulli de l'Apulie, dans Vie des arts, No 38, 1965, pp. 54-57 (traduction de l'anglais de Jacques de Roussan) : « On a trouvé [près de Martina Franca] une façade de ce genre qui comportait des panneaux de couleur; on avait utilisé du jaune pour les plus grands de ces panneaux, du bleu pour les panneaux moins importants, du rouge pour marquer le cadre extérieur de l'entrée et du blanc pour les couvertures secondaires ainsi que pour souligner la charpente ». 5.9 Symboles peints Des symboles chrétiens sont parfois peints au lait de chaux sur certaines coupoles d'habitation (les trulli à usage d'écurie ou de pailler en sont exempts). Le cône central du Trullo Sovrano à Alberobello se vit ainsi gratifié d'un symbole religieux dans le premier tiers du XXe siècle (48).
L'alignement de trulli de la rue Monte Pertica a acquis ses symboles lors de la réfection des toitures à la fin du XXe siècle et au début du XXIe : croix, cœur transpercé, hostie rayonnante, croix à l'arbre, colombe rayonnante symbolisant le Saint-Esprit, croissant de lune avec croix (49). Fruits de l'invention de modernes badigeonneurs et non de la tradition, les symboles profanes visibles sur les cônes à la trullo des bungalows de l'Hotel dei trulli en haut du rione Monti sont de la fin des années 1950, date à laquelle cet hôtel vit le jour (50) : candélabre à 7 branches, prière montant vers Dieu, trident, cartouche surmonté d'une croix et divisé en quatre quartiers abritant les initiales de Santo Cosma et Santo Damiano, les deux saints auxquels est consacrée la basilique locale, cœur coiffé d'une croix et transpercé par une flèche, la pointe vers le bas (censé symboliser Notre Dame des Sept Douleurs, Santa Maria Addolorata en italien). (48) Angelo Ambrosi et al., op. cit., p. 32 (Fig. 14 - Trullo Sovrano (1930-35)). (49) Cf. Christian Lassure, Les trulli ou casedde d'Alberobello (province de Bari, Italie) à travers les cartes postales et photos anciennes : III - les avatars de la rue Monte Pertica au quartier Monti (1950-2010), sur le site pierreseche.com, 20 janvier 2011. (50) Cf. Christian Lassure, Les trulli ou casedde d'Alberobello (province de Bari, Italie) à travers les cartes postales et photos anciennes : IV - L'hôtel des trulli, 1er juillet 2011. 5.10 Badigeons et enduits Les photos de la ville d'Alberobello à la fin du XIXe siècle (cf., supra, la photo d'une partie du rione Monti publiée en 1894 par P. A. Nencia), ne laissent voir que des dômes gris, exempts de badigeon blanc tant sur leur pinacle que sur leur cône. Il semble donc que le badigeonnage ne se soit généralisé qu'au XXe siècle. Sur des cartes postales des années 1950-1960, on observe parfois des dômes partiellement ou entièrement badigeonnés de chaux, voire enduits de mortier de chaux et badigeonnés : c'est qu'ils ne sont plus étanches à l'eau (51).
Un enduit à la chaux était couramment appliqué sur les parois à l'intérieur des pièces pour ne plus sentir l'air passer entre les pierres. Dans presque tous les cas, on y ajoutait un badigeon de chaux par mesure de propreté et pour tirer parti le plus possible du peu de lumière pénétrant à l'intérieur par la porte, laissée toujours ouverte, et les minuscules fenestrons. Seule exception : les trulli servant d'écurie ou de fenil (52). Le badigeonnage des parois extérieures était universel à Alberobello (et l'est toujours) et très courant dans la campagne environnante, à l'exception de quelques trulli aux parois montées en pierres taillées. Il était souvent l'œuvre des ménagères et se pratiquait à l'occasion de fêtes locales (53). (51) Ce genre d'opération est signalé par Edward Allen dans Stone Shelters, op. cit., pp. 100-111 : « In some cases trullo domes are plastered over, particularly if there is a leakage problem »). (52) Cf. Edward Allen, op. cit., p. 82 : « Lime plaster was commonly, although not always, applied to the interior of a trullo for protection against drafts. In nearly all cases, except in trulli used for stoprage or stables, the interior was whitewashed, both for cleanliness and to make the most of the light entering through the open doorway and the tiny windows ». (53) Cf. Edward Allen, op. cit., p. 82-83 : « Whitewashing of the exterior, except usually for the chiancarelle of the roof, is now universal in Alberobello and is very common in the surrounding countryside, although some of the most elegant rural trulli are made wholly of the natural stone without any finish whatsoever. Where whitewashing is done, it is frequently the job of the housewives, usually preceding some local festival or another [...] ». 5.11 Bâtières de lauses À côté des dômes coniques des trulli on observe aussi quelques bâtières de lauses, dites cummerse (pluriel de cummersa), recouvrant une voûte en berceau (volta a botte). Ce type de couvrement (tetto a cummersa), qui n'est possible qu'avec un plan rectangulaire, se rencontre principalement sur des maisons urbaines à façade en pignon. Il est très répandu dans l'agglomération de Locorotondo. Il en existe aussi quelques specimens dans la ville d'Alberobello.
6. Communes à trulli de la Valle d'Itria Dans la Valle d'Itria, on trouve des trulli dans les communes d'Alberobello, de Locorotondo, de Martina Franca, de Cisternino, de Fasano et de Ceglie Messapico. 6.1 Alberobello En raison de sa concentration de trulli, la plus forte de toutes les Pouilles, Alberobello est qualifiée par le Tourisme de « capitale » de ce type d'habitation (Capitale dei Trulli). Deux de ses quartiers, le rione Monti (54) qui compte 1030 trulli sur 6 hectares, et le rione Aia Piccola (55), qui comporte 590 trulli, ont été déclarés « Monument national » en 1930. La ville a été inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en 1996. Le rione Monti est le plus ancien des deux quartiers à trulli (56).
Le plus grand complexe y est le Trullo Sovrano (« trullo suprême »), également dit Trullo Regio (« trullo royal »), appellations imputables à un érudit local, Giuseppe Notarnicola (57), et ayant supplanté le toponyme authentique de Corte Papa Cataldo (58). L'édifice se trouve à l'arrière du chevet de l'église des saints médecins Côme et Damien, dans une zone de ruelles à trulli. Le complexe ne comporte pas moins de douze cônes et possède deux niveaux reliés par un escalier maçonné encastré dans la muraille. Il aurait été construit, selon Notarnicola, pour loger le prêtre Cataldo Perta (dont le nom apparaît dans un document notarié du 15 avril 1797) et accueillir, pendant quelque temps, des reliques des deux saints. L'ensemble a été déclaré monument national le 9 septembre 1923.
Les trulli siamesi (les « trulli siamois »), ainsi nommés par le Tourisme, se trouvent dans le rione Monti. Il s'agit d'un bâtiment double dont les deux cônes sont reliés par un pont de lauses (lastre di raccordo) et dont les pièces communiquent grâce à un arc de raccordement. Il possède deux entrées, l'une donnant sur la ruelle Monte Nero, l'autre sur la ruelle Monte Pasubio. Il a une cheminée mais n'a pas de fenêtre.
Situé entre la place XXVII Maggio, la place Mario Pagano et la rue Larmamora, le musée du Terroir (Museo del Territorio), anciennement Casa Pezzola, du nom du dernier propriétaire, occupe plusieurs trulli dont le plus ancien date du XVIIIe siècle. Il abrite des outils liés à l'agriculture et à la construction rurale, deux pièces meublées comme autrefois et des pinacles déposés du toit de trulli. L'église saint Antoine (chiesa di Sant'Antonio), aux toits construits en style trullo par un des derniers maîtres trullistes, date de 1926. Elle domine, au sud, la colline occupée par le rione Monti.
(54) Litt., « quartier des monts », ainsi baptisé en raison des noms donnés à ses rues : via Monte Pertica, via Monte Nero, via Monte Sabotino, etc., du nom de batailles de la Première Guerre mondiale. (55) Litt., « quartier de la petite aire (à battre) ». (56) Les trulli d'Alberobello, sur le site de l'Unesco. (57) Giuseppe Notarnicola, I trulli di Alberobello dalla preistoria al presente, Unione Editoriale d'Italia, Roma, 1940. (58) Angelo Ambrosi, Raffaele Panella, Giuseppe Radicchio, op. cit. : « Secondo quanto dice nel suo libro su Alberobello, è a lui stesso che si deve l'appellativo "Sovrano" che ha sostituito da tempo l'antico toponimo ''Corte Papa cataldo'', che se referiva all'intero vicinato. Stando alla testimonianza del Notarnicola, che purtroppo non cita la fonte, il toponimo deriverebbe dal nome del proprietaro : il sacerdote Cataldo Perta. Questo nome è citato in un importante documento notarile del 15 aprile 1797 (...) ». 6.2 Ceglie Messapico
6.3 Cisternino
6.4 Fasano
6.5 Locorotondo Sur la pente du mamelon où s'élève Locorotondo, les trulli sont groupés en grand nombre et forment tout un faubourg (59). C'est dans la région de Locorotondo que l'on trouve le plus grand nombre de trulli, éparpillés dans les contrade (agglomérations rurales à la périphérie des villes) (60). La présence de cet habitat dispersé tient au fait que nombre d'habitants de Locorotondo sont allés s'installer dans la campagne environnante comme viticulteurs à partir du XVIIIe siècle (61).
(59) Émile Bertaux, op. cit., en part. p. 214. (60) Dominique Auzias, Jean-Paul Labourdette, Italie, Petit Fûté, 2009, 912 p., p. 714. (61) Anthony H. Galt, op. cit. : « What distinguishes Locorotondo and the neighbouring towns is that peasants have dispersed in the countryside rather than in densely populated rural towns, the pattern more typical for Southern Italy. The people are mainly small proprietor grape growers and have traditionally been better off than other Southern Italian peasants. The book traces the development patterns from the eighteenth century » (p. 4 de couverture du livre). 6.6 Martina Franca Dans la zone au sud de Martina Franca, on trouve des trulli construits pour la viticulture et la vinification et occupés principalement durant les vendanges.
7. Mythes et légendes On peut lire, dans une certaine littérature touristique ou immobilière sur les trulli, des affirmations dont la fausseté le dispute au ridicule. Ainsi, à l'intérieur d'un trullo, du fait de la seule épaisseur des
murs, on ne souffrirait ni de la chaleur en été, ni du froid en hiver. De même, les trulli seraient antisismiques. Les plus vieux trulli, antérieurs au XVIIe siècle, seraient ceux qui
sont en forme de cône de la base au sommet. Ils auraient précédé ceux dont
le cône repose sur une base cylindrique. Une légende historique veut qu'en cas d'inspection de son fief par des
envoyés du roi de Naples, le comte de Conversano (cf. supra) faisait démolir les
trulli illégaux en faisant attacher une corde autour de leur
pinacle et en faisant tirer sur la corde par un cheval ; en tombant, le pinacle
entraînait le reste de la construction. (62) Louis Mille, Les bories des terroirs d’Aix et Salon-de-Provence, l’auteur, 1993, 27 p., en part. p. 21. (63) Pierre Viala, Histoire d’une restauration : le « village des bories » de Gordes (Vaucluse), dans L’architecture rurale en pierre sèche, tome 1, 1977, pp. 151-153. Citation : « Deux tremblements de terre ont ébranlé le site, en 1880 [lire 1886] et en 1909. Sans doute faut-il leur imputer des linteaux cassés, des lézardes et quelques tassements ». 8. Évolution récente 8.1 Trulli et tourisme Ces dix dernières années ont vu de nombreuses fermes ou habitations à trulli de la Valle d'Itria être restaurées et converties en résidences secondaires ou en gîtes locatifs. Il y a dix ans, refaire le toit d'un trullo coûtait 3 millions de lires (environ 1500 euros), en 2009 il en coûtait 15 000 euros (64). À Alberobello, les autochtones qui habitent encore dans des trulli à l'ancienne le font soit parce qu'ils sont trop pauvres pour envisager de déménager, soit parce qu'ils tiennent une tâble d'hôte et accueillent des touristes (65). Le quartier des Monts était à l'abandon il y a une décennie quand un entrepreneur local, Guido Antonietta, eut l'idée d'acheter quelques douzaines de trulli, d'y installer le confort moderne et de louer le tout à un prix inférieur à celui d'une chambre d'hôtel dans la ville. Il en profita pour peindre, sur les cônes, des symboles portant bonheur (66). Le rione Monti est désormais voué au Tourisme : nombre de trulli abritent des boutiques de souvenirs et de produits artisanaux (tissage, broderie, poterie, cuivre, etc.), très souvent de mauvais goût (67). (64) Dans les Pouilles, la folie des « trulli » fait revivre un patrimoine UNESCO, sur le site lepoint.fr, 28-5-2009. (65) Cf. Trulli House, sur le site heelitaly.it : On the part of the tour we joined, the guide debunked a popular myth that the stone buildings were good to live in, being warm in winter and cool in summer. She was brought up living in a trulli house, and said they were cold and drafty in winter, and stuffy in summer. The only reasons people still live in them is that they are too poor to move out, or that they entertain tourists as hosts of a trulli B&B. People like to come and look at the trulli — they are indeed a Michelin three-star attraction — but sensible people don't want to live in them ». (66) The Land of Point & The White City , sur le site reidsitaly.com : « Monti was largely derelict a decade ago when local entrepreneur Guido Antionetta had a brilliantly simple idea to help preserve the neighborhood's unique vernacular architecture. He bought up a few dozen abandoned trulli, installed modern kitchenettes, a few pieces of chunky furnishings, and cast-iron bed frames, and formed a company called Trullidea to rent them out as mini-apartments for $98 to $115 per night – less than rooms cost at the local hotels [...]. Guido even revived the ancient custom of painting one of several magical Paleo-Christian good luck symbols on the roof of each ». (67) Six mois d'errances en Europe, 14 - Remontée de l'Italie jusqu'aux sources du Clitunno (Ombrie), mardi 25 mars 1997. 8.2 Trulli et restauration Les lauses employées à la réfection des dômes de trulli dans la Valle d'Itria sont désormais obtenues par débitage de blocs de calcaire à la scie mécanique, ce qui donne des faces de dessous et de dessus absolument plates et lisses. La face destinée à être vue est taillée à la main, en biseau, selon le même angle d'une lause à l'autre. Ces lauses « mécaniques » sont posées non pas selon une légère inclinaison vers l'extérieur et avec un pureau comme les anciennes mais à l'horizontale et en suivant une directrice de cône parfaitement rectiligne (68). Au fil des restaurations, les dômes des trulli perdent leurs courbes gracieuses et n'offrent plus à la vue qu'une sécheresse toute géométrique. Mais qu'importe, le touriste n'y voit que du feu. (68) Une vidéo mise en ligne sur le site Calcaria Lavorazione della pietra montre comment l'on scie des chianche pour les trulli et les cummerse. Bibliographie * François Lenormant, Les truddwi et les specchie de la Terre d'Otrante, in Revue d'ethnographie, t. V, 1882, p. 22 * Emile Bertaux, Etude d'un type d'habitation primitive : trulli, caselle e specchie des Pouilles, in Annales de géographie, t. VIII, No 39, 1899, pp. 207-230 * Giuseppe Notarnicola, I trulli di Alberobello dalla preistoria al presente, Unione Editoriale d'Italia, Roma, 1940. * Edward Allen, Stone Shelters, The MIT, 1969, third printing 1974, 210 p. * Christan Lassure, Bibliographie de l'architecture en pierre sèche de l'Italie, in L'architecture rurale, t. III, 1979, pp. 199-202 *Carla Speciale Giorgi, Paolo Speciale, La Cultura del Trullo - Antologia di scritti letterari e scientifici sui trulli, Schena Editore, 1989 * Angelo Ambrosi, L'architettura in pietra a secco: costruzione, progetto, tipologie (con riferimento alla Puglia), in Atti del I Seminario Internazionale Architettura in pietra a secco (Noci-Alberobello, 27-30 settembre 1987), Fasano, 1990, pp. 17-84 * Enrico Degano, La campagna dei rilievi dei manufatti in pietra a secco della Puglia, in Atti del I Seminario Internazionale Architettura in pietra a secco (Noci-Alberobello, 27-30 settembre 1987), Fasano, 1990, pp. 375-446 * Giuseppe Radicchio, Il villaggio dei trulli, in Atti del I Seminario Internazionale Architettura in pietra a secco (Noci-Alberobello, 27-30 settembre 1987), Fasano, 1990, pp. 495-509 * Carlo A. Zaccaria, La costruzione in pietra a secco nella masseria pugliese, in Atti del I Seminario Internazionale Architettura in pietra a secco (Noci-Alberobello, 27-30 settembre 1987), Fasano, 1990, pp. 511-531, 1992 * Domenico Tamborrino, Costruzioni in pietra a secco: I trulli della Murgia pugliese. Etimologi del Vocabolo e ipotesi sulle origine, in La pedra en sec. Obra, paisatge i patrimoni, IV congrès internacional de construccio de pedra en sec, Mallorca, del 28 al 30 de setembre de 1994, Consell Insular de Mallorca, FODESMA, Mallorca, 1997, pp. 177-192 * Angelo Ambrosi, Raffaele Panella, Giuseppe Radicchio, Storia e Destino dei Trulli di Alberobello - Prontuario per il restauro, Schena Editore, 1997 * Christian Lassure et Christiane Chabert, Étude comparée des mouvements de construction de cabanes en pierres sèches dans les Pouilles (Italie) et dans l'Uzège (Gard, France) d'après les millésimes gravés, in Pierre Sèche, La lettre du CERAV, bulletin de liaison No 9, septembre 1997 Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV La présente page est susceptible d'être modifiée / This page remains subject to additional edits 29 août 2011 / August 29th, 2011 - Complété le 3 septembre 2011 - 5 septembre 2011 - 23 septembre 2011 - 26 septembre 2011 - 28 septembre 2011 - 18 mai 2012 - 5 mai 2014/ Augmented on September 3rd, 2011 - September 5th, 2011 - September 23rd, 2011 - September 26th, 2011 - September 28th, 2011 - May 18th, 2012 - May 5th, 2014 Référence à citer / To be referenced as : Christian Lassure Série Les trulli ou casedde d'Alberobello (province de Bari, Italie) à travers les cartes postales et photos anciennes (Series: The trulli or casedde of Alberobello, province of Bari, Italy, through old postcards and photos) I - Les trulli. Résumé historique et architectural (Trulli. A historical and architectural summary) http://www.pierreseche.com/trulli.htm 29 août 2011
I - Les trulli. Résumé historique et architectural
II-
Photos de la première moitié du XXe siècle
III -
Les
avatars de la rue Monte Pertica au quartier Monti (1950-2010) IV - L'hôtel des trulli V - Rione Monti, via Monte Santo VI - Rione Monti, via Monte Sabotino VII - Rione Monti, via Monte San Michele VIII - Rione Monti, via Monte Nero (en construction) IX - Rione Monti, via Monte Pasubio (en construction) X - Rione Monti, via Monte San Gabriele XI - Rione Monti, via Duca d'Aosta XII - Rione Monti, piazza d'Annunzio (en construction) XIII - Rione Monti, vico d'Annunzio (en construction) XIV - Rione Monti, Chiesa de Sant' Antonio XV - Rione Monti, panorama della zona monumentale "Principe de Piemonte" (en construction) XVI - Rione Aia Piccola, piazza Plebiscito XVII - Rione Aia Piccola, via Giuseppe Verdi (en construction) XVIII - Rione Aia Piccola, via Duca degli Abruzzi XIX - Rione Aia Piccola, via Galilei (en construction) XX - Il Trullo Sovrano (en construction) XXI - Via Monte Calvario XXII - Via Monte Grappa (en construction) Étude comparée des mouvements de construction de cabanes en pierres sèches dans les Pouilles (Italie) et dans l'Uzège (Gard, France) d'après les millésimes gravés / A comparative survey of the construction campaigns of dry stone huts in Puglia, Italy, and in the Uzège region, France, based on dates inscribed in stone
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