LA ROULOTTE DE BERGER D'APRÈS DES ENLUMINURES DE LA FIN DU MOYEN ÂGE The shepherd's caravan as shown in illuminated manuscripts of the late Middle Ages Christian Lassure Dans un précédent article – La roulotte de berger d'après des cartes postales et photographies anciennes –, nous faisions état du fait que la pratique du parc à ovins mobile, jointe à l'emploi d'une roulotte d'habitation pour le berger, était attestée dès la fin du Moyen Âge à en juger d'après des manuscrits enluminés de cette époque. À l'origine de cette affirmation, la découverte, sur le site Internet Mediaephile - Ressources médiévales, de six enluminures du XVe siècle où figuraient ce qu'il faut bien qualifier d'ancêtres lointains des cabanes mobiles de la première moitié du XXe siècle. Nous nous proposons de reprendre ici ces six illustrations plus une septième, dénichée ultérieurement, en assortissant chacune d'elles de la description de la roulotte de berger qui y figure. Document No 1
Dans cette page d'un manuscrit enluminé conservé à la Bibliothèque publique de New York, on distingue, dans l'angle supérieur droit du document, un parc à moutons reconnaissable à ses claies maintenues en place par des étais extérieurs. Le long d'un côté du parc, est garée une cabane en forme de hutte à deux versants, posée sur une charrette à deux roues en bois, à moyeu et rayons, et à deux longs timons à l'avant. Les excroissances visibles sur ces derniers servaient à accrocher des chaînes reliées au harnais d'un animal de trait. L'entrée de la cabane est en pignon, le seul endroit susceptible d'accueillir une ouverture. Dépourvue de parois verticales et réduite à une simple bâtière couverte de chaume, la cabane ne devait permettre que la position allongée.
Document No 2
En contrebas du village de Montaigut-le-Blanc (aujourd'hui dans le Puy-de-Dôme), représenté dans l'Armorial (1) de Guillaume Revel (vers 1946), on aperçoit, d'un côté (à gauche) un parc mobile et sa roulotte de berger, de l'autre côté (à droite) le berger assis sous un arbre, son chien à ses côtés, et les moutons qui paissent à proximité. La cabane sur roues, pour autant qu'on puisse en juger, a un toit à deux pentes, un essieu fixe et un long timon.
Document No 3
Dans cette Annonce à Joachim du 3e ou du 4e quart du XVe siècle, tirée de Fleur des histoires, le peintre a représenté, au plan intermédiaire, une cabane mobile en planches, montée sur un essieu à deux grandes roues en bois à moyeu et rayons et couverte d'un toit à deux versants. Le pignon avant est équipé de deux timons pour l'attelage d'un animal de trait. Ce qui semble être l'entrée de la cabane se découpe dans la partie basse du pignon avant mais cet emplacement, joint à la taille riquiqui de l'embrasure, ne paraît pas réaliste. Un petit orifice (ventilation ?) s'ouvre dans le triangle du pignon. Document No 4
Dans cette Annonce de la naissance du Christ aux bergers, on reconnaît, au plan intermédiaire, en bas d'un versant herbeux où paissent des moutons, une cabane de planches, coiffée d'un toit à deux versants et dotée de deux essieux, soit quatre roues en bois, à moyeu et rayons. Aucun timon n'est visible. Dans le triangle du pignon de gauche, se dessine un petit orifice (ventilation ?). Sur le côté long visible, les planches sont en position verticale. La nature du matériau de couverture reste à déterminer. Document No 5
La cabane en planches figurant sur cette page d'un Livre d'heures de Tournai du 3e quart du XVe siècle, tient davantage de la représentation traditionnelle de la niche à chien que de la roulotte de berger. L'engin se déplace grâce à quatre roulettes pleines, montées sur deux essieux. L'entrée est en pignon. Le toit à deux pentes est en planches disposées horizontalement, peut-être à clins (2). Document No 6
Au plan intermédiaire, dans la partie gauche de cette image tirée du manuscrit enluminé du XVe siècle Faits et dits mémorables, de Maxime Valère, on aperçoit une très reconnaissable cabane mobile en planches, coiffée d'un toit apparemment à quatre versants (deux longs et deux petits) et montée à l'avant et à l'arrière sur deux essieux ayant chacun deux petites roues pleines en bois. Dans chaque pignon s'ouvre une petite fenêtre au carré, fermée par un volet intérieur en bois. L'habitacle est ouvert sur tout un côté : on y voit le berger, assis, en train de tondre un mouton (s'agit-il d'un dispositif véritablement observé ou ou d'une latitude prise par le peintre ?). La toiture est peinte en rose, ce qui semble indiquer un matériau autre que le bois. Document No 7
Dans cette enluminure de la 2e décennie du XVe siècle ayant pour thème l'Annonce aux bergers de la venue du Christ, on peut observer, au premier plan, une très caractéristique cabane mobile de berger. Le miniaturiste a choisi de ne peindre qu'une moitié de la structure si bien qu'il est impossible de savoir si l'on a affaire à l'avant ou à l'arrière. Quoi qu'il en soit, le pignon visible semble être ouvert et un fenestron se découpe dans la paroi latérale, juste au-dessus de la roue en bois. Le toit à double pente est en planches posées horizontalement, peut-être à clins. Conclusion Si l'on compare ces sept roulottes de berger du XVe siècle à celles attestées photographiquement dans les premières décennies du XXe siècle, on constate que la forme classique de la cabane en planches – deux gouttereaux et deux pignons sous un toit à double pente – existe déjà et prédomine (une seule exception, la roulotte du manuscrit de la Bibliothèque publique de New York, où l'habitacle est non pas une caisse en bois mais une hutte à deux versants) (3). De même, à en juger d'après les deux exemples observés, la roulotte à essieu unique et timon(s) est déjà présente, tout en coexistant avec la roulotte à deux essieux, figurée à trois reprises. Dans deux de ces trois exemples, la cabane se meut non pas sur de grandes roues à moyeu et rais mais sur des roulettes pleines. Un point à noter cependant : aucune des images étudiées ne donne à voir de roulotte à trois roues, laquelle serait donc une évolution technique postérieure au Moyen Âge. Ces constatations sont faites en partant du principe que les figurations sont réalistes et ne comportent pas d'erreurs mais ce n'est pas une certitude absolue. Un nombre plus élevé de représentations permettrait sans doute d'avoir une vision moins parcellaire, plus détaillée, et plus sûre. NOTES (1) Un armorial est un « registre ou catalogue contenant les armes ou armoiries de la noblesse d'un royaume, celles d'une province, d'une ville, d'une famille, dessinées, peintes ou seulement décrites (Bouillet 1859) » (définition donnée dans le Trésor de la langue française). (2) Des planches disposées à clins sont des planches se recouvrant partiellement à la façon de tuiles ou d'ardoises. (3) Cette hutte à deux versants, posée sur une charrette, n'est pas sans rappeler l'habitacle constitué par l'énorme cloche de paille du document No 21 étudié dans la première partie de notre étude et provenant du Puy-de-Dôme. Pour imprimer, passer en mode paysage © CERAV Référence à citer / To be referenced as : La présente page est susceptible d'être modifiée / This page remains subject to additional edits
Série : La roulotte de berger I - La roulotte de berger d'après des cartes postales et photographies anciennes II - La roulotte de berger d'après des enluminures de la fin du Moyen Âge III - La roulotte de berger d'après des spécimens subsistants IV - Cabane à roues tirée par une paire de bœufs à Saint-Léger-du-Malzieu (Lozère) dans les années 1950 V - Berger et sa cabane à roues à Saugues (Haute-Loire) dans les années 1950 VI - Un fabricant de roulottes de berger : Vasseur X., à Sancourt (Somme) VII - Cabanes-roulottes de bergers dans la chaîne des Puys (Puy-de-Dôme) VIII - Cabane-roulotte de Ternant (à Orcines, Puy-de-Dôme) IX - La roulotte de berger vue par les artistes X - Vie et logement du berger à Chanat-la-Mouteyre et alentour dans le Puy-de-Dôme au XXe siècle
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