Roger Laubignat VIE ET LOGEMENT DU BERGER À CHANAT-LA-MOUTEYRE ET ALENTOUR
Résumé Roger Laubignat décrit
les pratiques pastorales de son terroir au XXe siècle en faisant
appel à une grande diversité de sources (illustrations, documents,
informations orales et mémoire locale). Le tout synthétisé par ses propres
souvenirs d’enfant émerveillé. Cela lui permet de témoigner d’une pratique
d’élevage ovin enracinée dans l’organisation de l'ancienne société rurale
du terroir étudié. Pratique disparue avec l’agriculture productive contemporaine,
c’est donc une chronique historique sur le proche passé pastoral que nous
suivons : son organisation syndicale et coopérative, ses figures marquantes,
puis dans le détail la description technique du processus et du calendrier de
l’activité, de la bergerie à l’estive, des tours de main pour construire les
parcs aux réservoirs pour abreuver les bêtes. Le tout encore habité de ces
hommes et femmes comme en témoignent ces croix prophylactiques tracées à la
bougie sur les voûtes des bergeries pour protéger les bêtes de la maladie.
Le troupeau commun regroupant, sous la houlette d'un berger, les ovins de divers
particuliers est décrit dans le détail, ainsi que les conflits engendrés par
ce regroupement et son parcours tant sur le finage communal qu’avec les
villages voisins. L’auteur dresse la liste des bergers successifs et y
associe des sources iconographiques où l’on peut suivre leur quotidien.
Il inscrit son travail dans une double perspective historique en documentant
aussi le déclin et la disparition contemporaine de cette pratique et
des relations sociales auxquelles elle avait donné lieu. Roger Laubignat describes the
pastoral practices of his communal territory in the 20th century, drawing on a
wide variety of sources (illustrations, documents, oral information and local
memory). All of this is synthesized by his own memories as a child filled with
wonder. This allows him to testify to a practice of sheep breeding rooted in the
organization of the old rural society of the studied area. As this practice has
disappeared with the advent of contemporary productive agriculture, it is
therefore a historical chronicle of the near pastoral past that we follow: its
trade union and cooperative organization, its outstanding figures, and then in
full detail, the technical descriptions of the process and the calendar of the
activity; from the sheep shelter to the summer pasture, from the tricks of the trade
to build the pens to the tanks to water the animals. All of this is still
reminiscent of the men and women involved, as evidenced by the
prophylactic crosses traced by candle on the vaults of the sheep shelters to protect
the animals from disease.The common flock, which groups together the sheep of
various owners under the guidance of a shepherd, is described in detail, as well
as the conflicts generated by this grouping and its course both in the communal
finage and with neighboring villages. The author lists the successive shepherds
and associates iconographic sources where one can follow their daily life. He
places his work in a double historical perspective by also documenting the
decline and contemporary disappearance of this practice and the social relations
to which it had given rise.
Parler de la vie pastorale à Chanat-la-Mouteyre au siècle passé, c'est faire ressurgir avec émotion des souvenirs d'enfance et de nombreux visages de gens qui ne sont plus. C'est l'occasion de prendre conscience des transformations rapides et irréversibles de nos campagnes et du mode de vie de leurs habitants durant ces soixante dernières années. Les témoins du milieu du XXe siècle se font rares et âgés. Les archives, peu abondantes, nécessitent des recoupements parfois hasardeux, surtout pour la période précédant la Seconde Guerre mondiale. J'ai reçu, des personnes contactées, un accueil chaleureux dont je les remercie car sans elles cette modeste recherche n'aurait pu voir le jour. Nous avons souvent partagé ensemble d'heureux moments à évoquer le passé, parfois même dans notre patois local.
1 - Le mouton dans la vie paysanne Le mouton figure parmi les premiers animaux domestiqués par l’homme, il y a environ 10 000 ans en Mésopotamie, selon les spécialistes. Peu agressif, son fort instinct grégaire favorise son rassemblement en troupeau. Élevé aussi bien par les peuples nomades que par les sédentaires, il donne son lait, sa viande, sa laine. On utilise en outre son suif, son cuir (la basane), et même le suint de sa toison pour fabriquer la lanoline [1]. [1] Graisse obtenue par purification et affinage du suint et employée dans les produits de beauté. Il accompagne l’homme depuis si longtemps qu’il fait partie de notre culture ; tous les enfants connaissent Le Loup et l’Agneau de La Fontaine et la scène des moutons de Panurge du Quart Livre de Rabelais. Les religions l’ont souvent utilisé comme animal de sacrifice ou même le symbole de la divinité, et l’astrologie fait du bélier le premier signe du zodiaque. Peu exigeant pour se nourrir, s’adaptant à un large éventail de climats, il se rencontre donc principalement dans les régions montagneuses même pauvres ou arides, mais aussi dans des plaines céréalières comme la Beauce où les troupeaux paissaient sur les éteules après les moissons. Pendant des siècles, l’élevage des moutons a présenté le même visage. Ainsi, dans un recueil d’armoiries datant de 1450, sous une représentation du village de Montaigut-le-Blanc (Puy-de-Dôme) avec sa tour, se trouve le dessin d’un petit parc carré avec claies et tenailles à côté d’une cabane de berger sur roues munie d’un timon. On aurait pu faire un croquis semblable, près de Chanat dans les années 1950.
Avant que les paysans du village s’organisent pour que leurs bêtes soient rassemblées en un troupeau commun sous la responsabilité d’un berger, on peut penser que chacun s’occupait de ses propres moutons, une dizaine peut-être, confiés à la garde d’un enfant, d’une personne âgée ou accompagnant les vaches au pâturage. Jusqu’à notre époque, l’élevage du mouton ne se présentait pas comme une spécialité mais plutôt comme un élevage d’appoint : on tuait un agneau au moment des grands travaux comme le battage du blé, les vendanges, qui rassemblaient alors une main-d’œuvre plus nombreuse. Le gigot accompagné de pommes de terre au four était un plat traditionnel prisé servi également les jours de fête, mariages, communions. Je n’ai pas le souvenir de paysans utilisant le lait de brebis pour faire des fromages, ce lait servait uniquement à nourrir les jeunes agneaux dont on coupait la queue pour la propreté et l’esthétique par cassure brusque et sans saignement à l’âge de trois semaines environ. Après la saison froide, en mai, les bêtes étaient tondues par leurs propriétaires à l’aide de gros ciseaux ordinaires ou spéciaux, les « forces », dont l’usage remonte à l’époque romaine. Cette tonte s’effectuait le plus souvent dans la rue. La brebis était mise à terre, couchée sur le côté, les pattes arrière et avant liées ensemble. La tonte commençait au niveau du ventre, jusqu’au dos, en prenant soin de ne pas blesser la peau qui est très fine ; l’animal était alors tourné sur l’autre flanc, et la tonte reprenait en sens inverse. La toison était roulée sur elle-même ; la bête libérée de ses liens, un peu engourdie, allégée, rejoignait l’étable. C’était un travail assez pénible, effectué la plupart du temps à genoux, les mains poisseuses de suint. Ma mère, ce jour-là, mettait un pantalon d’homme pour être plus à l’aise. Les toisons étaient lavées à la fontaine puis séchées sur tout ce qui pouvait faire fonction d’étendoir. Utilisée pour garnir les matelas ou transformée en fil à l’aide de fuseaux, la laine blanche, parfois brune, était tricotée en pulls ou chaussettes, ou échangée à la foire de Pontgibaud pour des qualités, des teintes différentes, auprès de marchands venus des filatures d’Auzances, dans la Creuse voisine. L’élevage du mouton, à Chanat, ne s’est pas associé, comme dans d’autres lieux, avec celui de la chèvre, même si, selon certaines croyances, la présence de quelques chèvres dans un troupeau de moutons le protégeait des maladies. Je ne me souviens que de deux femmes, Marguerite Geneix du hameau de Laty faisant paître trois ou quatre bêtes le long des chemins, et Anaïs Barbecot accompagnée de sa chèvre blanche, véritable animal de compagnie. Si chèvres et moutons peuvent être mêlés, il faut rappeler que, dans le vocabulaire, les premières sont désignées par le terme de caprins et les seconds par celui d’ovins. Les puristes vous diront que ce dernier terme englobe comme animaux adultes : les béliers, les brebis et les moutons qui sont des mâles châtrés destinés à la boucherie. Le langage courant a fait de « moutons » le terme générique employé comme tel dans ces textes. Par contre, en patois, c’est le pluriel de brebis, la ouélha, qui joue le rôle de terme générique englobant béliers, brebis et moutons.
2 - Le syndicat d'élevage ovin La création du syndicat d’élevage ovin de Chanat, le 21 janvier 1932, est le résultat des efforts de deux passionnés : Amable Vidal, dit La Pipe, et Jean Levray, dit Guillaumaud. Le premier avait même donné un nom à chacun de ses moutons, alors que cet usage était plutôt réservé aux bovins. Ce syndicat témoigne d’un esprit coopératif et d’un sens de l’organisation un peu différents de l’entraide traditionnelle se manifestant dans nos campagnes au cours de périodes difficiles comme celle de la Grande Guerre. Cet esprit coopératif se prolongera six années plus tard dans la naissance d’une coopérative de machinisme agricole, le 14 juin 1938, qui permettra à ses membres de disposer d’une batteuse, d’un trieur [2], d’un pressoir, etc. [2] Appareil mécanique percé de trous d'inégal diamètre qui sert à trier et à nettoyer les grains de semence. Au cours de la réunion du 6 mars 1932 sont nommés président Nebout Amable Vidal et vice-président Baptiste Géraud. Les secrétaires-trésoriers sont Jean Levray et (Pierre ? Michel ?) Perol. Quatre autres administrateurs sont désignés : Gauthier François Nebout, Jacques Saintemarie, Michel Barbecot, Jean Dépêcher. Le syndicat a pour but de poursuivre l’amélioration de la race Rava [3]. Il compte 40 adhérents qui possèdent 500 têtes de bétail, quatre reproducteurs mâles dont trois appartiennent au berger Bonjean. La cotisation annuelle est de 5 francs. Le siège du syndicat est à Chanat-la-Mouteyre, à la salle syndicale. [3] Race ovine rustique originaire de la chaîne des Puys dans le Puy-de-Dôme. Elle se caractérise par sa toison blanche aux mèches longues et par sa tête nue marquée de taches noires. Le Conseil, bureau plus adhérents, se réunit sur demande du président au moins deux fois par an. Si le compte est déficitaire, une cotisation exceptionnelle peut être demandée ; elle ne peut dépasser 50 francs (les statuts de ce syndicat figurent aux archives de la Mairie, cote 9 W 11). Logiquement, les jours de nourriture du berger, les nuits de fumure et déplacements du parc, le nombre de claies et de tenailles [4] à fournir, seraient répartis proportionnellement au nombre de bêtes détenu par les adhérents. [4] Un des étais en bois soutenant obliquement les claies d'un parc à moutons (voir figure 3). Les deux derniers responsables du syndicat d’élevage ovin ont été Jacques Vidal, plus connu sous le nom de Jacky, et Jacques Aubert dans les années 1970. Je n’ai pu retrouver de documents relatifs aux réunions suivantes, ni à la comptabilité (salaire du berger, évolution des cotisations, dépenses diverses pour l’entretien de la cabane, l’achat du sel, etc.). Les bergers étaient loués au mois de février, pour une année à partir du 25 mars. On peut penser qu’à une époque où la parole donnée avait valeur d’écrit, le « contrat de travail » du berger se faisait oralement. Jacky Vidal me disait que le berger Jean Mallet recevait une somme de 10 000 francs mensuellement, vers 1960.
3 - Le troupeau Pour l’enfant que j’étais, dans les années 1940, le troupeau était un spectacle et le berger un personnage marquant. Le troupeau partait du bas du village. Au son de la corne du berger, les paysans ouvraient la porte de leur bergerie et les moutons allaient rejoindre docilement les autres montant la rue principale dans le tintement des sonnailles. Sur les talons du berger, les chiens, deux le plus souvent, n’avaient pas à intervenir. En haut du village, aux Quatre Routes, ce beau fleuve de laine au complet (le troupeau a compté jusqu’à 900 bêtes) allait paître sur les parcelles communales ou les prairies ouvertes à tous après la Toussaint, comme le voulait la coutume. La musette à l’épaule, le berger emportait le bidon qui contenait son repas et la chopine de vin ou le thermos de café selon la saison. Le soir, à la tombée du jour, le troupeau rentrait. Les brebis retrouvaient sans difficulté leur « maison » mais les premières sorties de printemps nécessitaient de « trier les moutons », opération qui réjouissait particulièrement les enfants : il s’agissait de se placer dans le flot descendant des bêtes, de repérer les siennes et de les orienter dans la direction de leur bercail, parfois au prix de courses et de tiraillements douloureux pour les ongles enfoncés dans la laine épaisse. S’il arrivait que l’une d’entre elles s’égare, sa marque permettait de l’identifier facilement. Cette marque propre à chaque propriétaire était faite à l’oreille par une ou plusieurs encoches aux ciseaux, un ou plusieurs trous à l’emporte-pièce, et même la coupe de l’extrémité. La combinaison des entailles, encoches, trous et épointements permettait un nombre suffisant de marques. Les agneaux lors de leurs premières sorties étaient marqués de rouge sur le dos, en frottant leur laine à l’aide d’une vieille tuile ronde mouillée, afin de mieux les repérer.
C’était ainsi pendant la période d’hiver, d’octobre à mai, lorsque la neige ne recouvrait pas le sol. Si le temps était froid et sec, le troupeau sortait tout de même pour s’aérer, marcher et brouter un peu. À l’étable, les moutons étaient nourris au râtelier de foin sec et de fagots de feuilles de frêne dont ils se régalaient. Ces fagots, faits à la serpe en fin d'été, provenaient de la taille annuelle ou bisannuelle des frênes-têtards bordant les propriétes ou les chemins. Dressés en « pignons » et laissés à sécher quelques jours, ils constituaient un complément appréciable pour l’alimentation des moutons et des lapins. La feuille de frêne était également utilisée de longue date pour faire des infusions dans la médecine populaire.
4 - L'estive, le parc, le réservoir, les bacs C’est pendant la belle saison que le troupeau commun donne lieu à une pratique intéressante, l’estive. En juillet, août, en fonction du temps, le troupeau est conduit sur les pacages communaux, au lieu-dit « Les Bruyères », vaste espace au pied des puys de Chaumont, Chopine, et Bois de Clermont. Dès la formation du Syndicat, cette zone avait nécessité beaucoup de travail pour la mettre en état d’être pacagée : ouverture de chemins, abattage d’arbres, destruction de buissons…Mais les paysans du village avaient l’habitude de ces travaux collectifs, appelés simplement « corvées », plusieurs jours chaque hiver pour l’entretien des forêts et des chemins communaux. C’était des réunions animées, l’occasion de travailler ensemble et de bavarder, de blaguer, d’échanger des nouvelles, un peu l’équivalent des conversations autour du lavoir pour les femmes ! Le troupeau, aux Bruyères, trouve de l’herbe et de la fraîcheur. Un parc, pour la nuit, est installé. De forme plus ou moins carrée, il est fait d’une quarantaine de claies assez légères en bois, d’environ 2 m de long par 1 m de haut, facilement transportables, une sous chaque bras. Maintenues verticales par des « tenailles » ancrées au sol par un piquet, mises à angle droit grâce à des « cornards », les claies sont, de plus, enfoncées de quelques centimètres d’un simple coup de maillet de bois. Des croquis éviteront des explications longues et peu claires.
Ce parc était déplacé tous les deux ou trois jours afin d’éviter l’accumulation des crottes. On déplaçait trois côtés. Pour le côté restant, il suffisait de faire passer les tenailles à l’extérieur. Le parc une fois formé complètement, on retirait deux claies pour l’entrée du troupeau. Le berger les refermerait le soir. Le berger passait la nuit dans sa cabane, abri mobile sur roues dont nous reparlerons plus loin, près de son troupeau. Ses chiens dormaient dessous ou dans une niche. Si la météo était au froid, il leur arrivait de dormir près de leur maître. Tout le matériel du parc, claies, tenailles, était fabriqué, puis réparé, parfois un peu grossièrement, par les propriétaires des moutons. Aujourd’hui, il n’en reste presque rien. Grâce à Jacky Vidal, j’ai pu photographier une claie retrouvée dans sa grange ainsi que deux tenailles portant sa marque : un petit cercle en creux.
Les bêtes ayant besoin d’eau, le Syndicat d’élevage ovin a fait aménager un système d’abreuvoir au pied des Bois de Clermont, près du Puy Chopine, sans doute peu de temps après sa création en 1932. Ces abreuvoirs sont encore visibles bien que disparaissant en partie sous les broussailles et les fougères sèches en fin d’année. Ce sont des bacs en ciment de 2 m de long par 68 cm de large et environ 30 cm de profondeur, disposés à peu près en ligne. Si on tient compte de leur longueur, l’alignement aurait comporté neuf bacs dont deux ont disparu. Un troisième, qui semblait manquant, est presque totalement enterré sous un autre. Un inventaire plus précis aurait nécessité des outils et du temps pour dégager davantage leur emplacement. Ces bacs recevaient l’eau venant d’un réservoir situé une trentaine de mètres plus haut dans un petit vallon où se rassemblent les eaux de pluie et de fonte des neiges. Cette réserve, probablement maçonnée, de 80 mètres-cubes selon Jacky, se présente comme un mini-barrage recouvert d’une épaisseur de terre. On aperçoit un cercle de métal, un peu enfoui, muni en son centre d’un anneau, qui devait donner accès à ce réservoir d’eau. En aval, contre le barrage, un puits d'accès carré, d’environ 1 m de côté et 4 m de profondeur, a été construit en béton. On aperçoit, au fond côté réservoir, une sorte de robinet-vanne qui permettait d’ouvrir l’eau pour alimenter les bacs. Un bout de tuyau est encore visible. Pour accéder au système, des barreaux métalliques scellés dans un angle du puits d'accès faisaient fonction d’échelle. Cet ouvrage avait été construit par le maçon d’origine italienne César Taréna, venu à Chanat dans les années 1930. Ces bacs, qui possèdent une encoche semi-circulaire à leurs deux extrémités, devaient être décalés en hauteur à la suite l’un de l’autre afin de se remplir par trop-plein, car c’est ainsi que fonctionnent les abreuvoirs similaires qu’on peut voir aujourd’hui encore au pied du Puy des Gouttes, au lieu-dit « la fontaine des Pères (ils servaient pour le troupeau commun du village des Fontêtes.)
Quand le troupeau n’était pas en estive dans la chaîne des Puys, les nuitées de parc servaient à fumer terres ou prés des propriétaires de moutons. Alors, le parc était déplacé chaque jour ou exceptionnellement tous les deux jours. Lorsqu’on changeait de champ, la cabane était attelée à une paire de vaches ou, plus tard, à un tracteur après modification du timon. Lorsque le troupeau était à l’estive ou dans des endroits éloignés du village, le berger ne prenait pas ses repas à la table des paysans. On lui portait son repas du soir. Je me souviens d’être allé aux Bruyères « porter la soupe » du berger, dans les beaux soirs d’été, équipé de la musette contenant le bidon de soupe de légumes, le pain, le fromage, le saucisson,…la bouteille de vin, et au bout de chaque bras les seaux de nourriture pour les chiens. Il fallait une petite heure de marche pour monter aux Bruyères en empruntant le chemin du Cheix et on revenait à la nuit tombée sous un ciel criblé d’étoiles, dans l’air tiède et bruissant du chant des grillons. Il m’est arrivé une fois de rapporter sur mes épaules un agneau né du jour, encore un peu gluant contre mon cou, la tête abandonnée sur ma poitrine, afin d’être nourri au biberon car sa mère ne pouvait l’allaiter. Un autre soir, alors que le gros des brebis était entré dans le parc, j’ai assisté à un combat fort impressionnant entre deux béliers, sans doute pour la place de mâle dominant. C’était un affrontement terrible ! Chaque bête reculait lentement et, faisant face à l’autre à une dizaine de mètres, se précipitait tête baissée sur l’adversaire. Les deux crânes se heurtaient avec violence dans un bruit fracassant. Les béliers chancelaient, s’immobilisaient quelques instants, et la lutte reprenait. Je n’ai pu supporter longtemps ce spectacle et je ne sais comment il s’est terminé. J’ai pris sans me retourner le chemin de retour au village.
5 - L'évolution du troupeau commun Il serait
intéressant de voir comment ce troupeau commun a évolué numériquement au fil
des années, mais ce n’est guère possible. En dépouillant les registres des
Délibérations de 1888, en date du 24 juin, Bernard Lefèvre a relevé le
passage suivant qui ne manque pas d’intérêt : Ce conflit entre propriétaires de vaches et propriétaires de moutons révèle le petit nombre de ces derniers, assez surprenant quand on sait que, moins de cinquante ans plus tard, le Syndicat d’élevage ovin compte 40 adhérents qui possédaient 500 bêtes. Ces cinq éleveurs avaient-ils seulement des moutons ? Combien en possédaient-ils ? Questions qui restent sans réponse ! Autres chiffres qui pourraient être intéressants, ce sont ceux du recensement des ressources en bétail de la commune daté du 1/5/1944 (cote 7W8 des archives en mairie de Chanat). Mais quand on sait que pendant ces années de guerre la Direction départementale du Ravitaillement imposait aux communes des livraisons de bétail sur pied (ainsi que des céréales, pommes de terre, œufs, etc.), on est en droit de supposer que le nombre d’animaux y figurant est inférieur à la réalité. Ainsi, pour le village de Chanat, les 41 propriétaires d’ovins possèdent 3 béliers, 235 femelles de plus d’un an, 109 agneaux de moins d’un an, soit un total de 347 bêtes. L’Étang compte pour 14 propriétaires : 4 béliers, 83 brebis et 25 agneaux, soit 112 ovins. Les 3 propriétaires de La Mouteyre déclarent 1 bélier, 22 brebis, 11 agneaux, soit 34 bêtes. Quelques années plus tard, le troupeau commun atteindra un effectif de 800 à 900 têtes.
[5] Chacun des deux côtés d'une charrette qui sont faits en forme de râtelier.
6 - La cabane du berger La cabane du berger, comme la cabane de branchages en forêt, la cabane de genêts, la cabane dans les branches de Tarzan, ou l’igloo en blocs de neige, fait rêver les enfants et, pourquoi ne pas l’avouer, les adultes aussi. C’est un peu l’attrait d’une vie plus proche de la nature, la liberté, la solitude… Celle du troupeau de Chanat dont je me souviens était en planches avec deux roues de bois à rayons cerclées de fer et un timon. Ces roues, de part et d’autre de la partie couchage, imposaient une porte d’accès à glissière munie, je crois, d’une petite fenêtre en losange. Le toit, de planches également, était peut-être recouvert de tôle, comme toutes celles qui existent encore dans la région. Dans ma mémoire, je la revois comme cela :
Sur d’anciennes photos, les toitures sont souvent recouvertes de paille ou autres végétaux pour les protéger du froid mais plus encore de la chaleur. Cette isolation est fixée par quelques liteaux. Quelques crochets servaient à suspendre une musette ou un manteau, et sur la face arrière, me semble-t-il, une sorte de coffre abritait quelques outils, le maillet de bois, la bouteille de crésyl [6] pour soigner le piétin [7] et autres bricoles. [6] Nom de marque d'un puissant désinfectant à base de crésol, homologue supérieur du phénol (extrait des goudrons ou préparé par synthèse et utilisé en médecine (antiseptiques). [7] Affection contagieuse particulière aux ovins et aux caprins, qui débute par une inflammation du tissu cellulaire de la partie supérieure et interne de l'onglon, avec décollement de la corne. L’intérieur était occupé entièrement par l’étroit couchage : paillasse, couvertures, sur lequel le berger ne pouvait se tenir qu’assis. Comme la cabane avec son timon posé au sol était inclinée vers l’avant, un système quelconque de calage permettait de la mettre horizontale. Il est regrettable que ce témoin de la vie pastorale du siècle passé, ce « petit patrimoine rural », selon l’expression actuelle, ait été abandonné pendant des années dans un champ proche de la route de Chaumont avant d’être brûlé parce qu’encombrant ! Dans les années 1960, une cabane plus confortable, fabriquée par le charron Armand Gilbert de Ternant, l’avait remplacée. Quand je dis charron, c’est limiter les talents de celui que tout le monde appelait simplement Gilbert, car il était également menuisier, forgeron, soudeur…Habile et astucieux, accueillant, il rendait bien des services pour réparer, modifier les outils et le matériel des paysans. Cette nouvelle cabane avait une hauteur suffisante pour s’y tenir debout et le couchage, plus long, n’occupait que la moitié de la largeur, laissant de la place pour un coffre-banc, un passage, et un petit coffre avec couvercle à la tête du lit. Les roues se trouvaient à l’intérieur, dissimulées dans le coffre-banc d’un côté et sous le couchage de l’autre. La porte occupait toute la moitié de la façade arrière de la cabane, et une ou deux petites ouvertures munies d’une vitre et d’un volet à glissière en permettaient l’aération. Cette description est calquée sur celle des autres cabanes « nouvelle génération » que j’ai pu voir à Beauloup, aux Fontêtes ou ailleurs car celle de Chanat, entreposée près de la bergerie de Jean Saintemarie à la Salesse, a également été détruite. Je dois dire que je me suis passionné pour les cabanes de nos bergers et que j’ai parcouru la Chaîne des Puys, selon les renseignements recueillis ou parfois accompagné avec gentillesse, pour photographier et noter les dimensions de celle d’Aurières près du col de Randanne, celles de Récoleine (une bien conservée et très intéressante, une très ancienne en fort mauvais état)…À Beauregard, on peut voir une cabane exposée sur un petit terre-plein gazonné à l’entrée du village, bien entretenue, « habitable », et une autre abandonnée dans le décor étrange d’une belle forêt de sapins, là où s’étendaient, voilà une quarantaine d’années, de vastes pâtures à moutons. L’ancienne cabane des Fontêtes repose « sur le ventre » au pied du Puy des Gouttes, et la plus récente est remisée dans un local syndical du village. Une autre est visible au Petit Chambois, et plus proche encore, à la lisière du village de Ternant, une cabane un peu originale avec des volets et de grandes roues à rayons métalliques…D’autres encore seraient à mentionner. Ce patrimoine assez fragile mériterait un peu plus d’entretien, j’ai envie de dire : de respect, et de mise en valeur. Il conserve tout de même un certain attrait puisque celle de La Courteix, qui ornait un espace engazonné au cœur du village, a été volée en 1995 !
Ce type de cabane mesure approximativement 2,05 m de longueur, 1,55 m de largeur, avec une hauteur de 1,70 m au faîte (et jusqu’à 1,90 m pour celle des Fontêtes). Ce qui permet un couchage de 2 m par 0,80 et une porte de 0,70 m de large, un vrai confort si on compare avec la plus ancienne de Récoleine, véritable niche à berger : Hauteur :1,20 m, Longueur : 1,80 m, largeur : 0,95 m, avec une entrée de 0,60 par 0,60 m (!) que l’on voit ci-dessous.
On trouve sur pierreseche.com une collection très intéressante de cabanes-roulottes, les unes, souvent sur trois roues, provenant de Beauce, d’autres de notre région, parfois sur fond de chaîne des Puys avec le Puy de Dôme. Parmi ces dernières, deux méritent une attention particulière. La plus originale assurément a été photographiée aux environs d’Orcines, en 1880, ce qui en fait un document rare. Elle ressemble à une énorme ruche de paille à l’ancienne montée sur une sorte de charrette avec timon et roues de bois à rayons. Pour ce qui est de l’isolation on ne peut guère faire mieux ! Par contre, l’intérieur doit être exigu, et l’entrée paraît bien étroite. Le lourd manteau et la musette sont accrochés à l’extérieur.
Le cliché ci-dessous date des années 1930. Il nous montre un toit isolé par de la paille et une cabane ressemblant beaucoup à celle que je connus à Chanat. Le timon, soutenu par une fourche rudimentaire, la maintient à l'horizontale. Un peu à l’arrière, on aperçoit le parc à moutons.
Dans notre région, les cabanes sont globalement de deux sortes : les plus anciennes, petites, montées sur roues extérieures, ayant un timon pour attelage de bovins, une ou deux portes à glissières fermant l’entrée, et dont l’intérieur est entièrement occupé par le couchage. Les dernières des années 1950-1960, plus grandes, plus hautes, plus lourdes aussi, donc déplacées par un tracteur, ont un habitacle qui englobe les roues, une porte à charnières et de petites ouvertures pour plus de lumière et une meilleure aération. Surtout pour ces dernières, la comparaison de leurs dimensions et de leur conception laisserait penser qu’elles ont été fabriquées par un même artisan dont je n’ai pas retrouvé la trace, ou des artisans différents copiant un modèle jugé satisfaisant. Il est temps de parler de ceux qui couchaient dans ces cabanes durant l’été, car ce travail de berger en charge d’importants troupeaux communs était réservé à des hommes. Les jolies bergères filant leur quenouille auprès de quelques blanches brebis et d’un chien aux yeux doux appartiennent plutôt à la chansonnette, aux images publicitaires, ou encore aux images pieuses représentant Jeanne d’Arc à Domrémy.
7 - L'image du berger Le berger est le motif central de cette recherche, personnage un peu mystérieux à mes yeux d’enfant, avec son lourd manteau (le séléï,en patois) beige à rayures verticales brunes doublé d’une cape d’épaules, sa corne pour rassembler le troupeau, sa boulade, long bâton terminé par une boule de bois qui servait autrefois à se défendre des loups. Il conduisait des centaines de bêtes, connaissait leurs comportements, savait les soigner. Ses chiens à l’œil vif obéissaient à ses commandements brefs. Il marchait des heures durant dans la solitude, affrontait la pluie, les orages et la foudre qui frappe souvent les moutons. Il dégageait cette impression de paix et d’harmonie des hommes qui vivent en contact avec la nature. Certes, au milieu du vingtième siècle, les bergers de chez nous avaient perdu pour les adultes l’aura héritée du passé : la Bible leur avait accordé le privilège d’être les premiers à adorer Jésus, et cet évènement a inspiré depuis de nombreux artistes, musiciens, peintres, enlumineurs, graveurs, sculpteurs…jusqu’à nos crèches d’aujourd’hui.
Ces jolies enluminures de livres d’heures du milieu du XVe siècle sont fidèles au mode traditionnel de représentation de leur époque : paysage, bergers jouant de la musette, ancêtre de la cornemuse. À noter la cabane à quatre roues au-delà de la rivière.
Loin aussi de nos bergers auvergnats les personnages idylliques et bien peu naturels des romans précieux et des peintures d’inspiration mythologique du XVIIe siècle. Loin également les croyances populaires faisant du berger celui qui connaît les choses secrètes : signes annonciateurs du temps, plantes médicinales, remèdes rares, formules magiques, et même divination, astrologie, astronomie…En leur honneur, on a appelé poétiquement « Étoile du Berger » la planète Vénus qui accompagne le lever et le coucher du soleil. Il semble que dans les régions de grande transhumance, Cévennes, Alpes du Sud, les bergers aient conservé, même un peu fanée, leur belle image traditionnelle. Comme tout métier, celui de berger a ses secrets, étranges parfois, comme celui que m’a confié J. P. qu’elle tenait du berger Mallet. Elle m’a assuré de son efficacité pour l’avoir expérimenté sur un chien qui fuguait afin de retrouver son village d’origine. Un secret confié sans doute avec quelque réticence : « pour rendre un chien fidèle, malaxer des morceaux de lard dans la main, y ajouter des poils coupés de la queue du chien et le lui donner à manger ». Des recettes de cette sorte abondaient dans nos campagnes et beaucoup se sont perdues. Auréolées de mystère, elles font partie de l’imaginaire de nos ancêtres.
8 - Les bergers de Chanat Avec quelques difficultés, j’ai essayé de retrouver les bergers qui se sont succédés à la tête du troupeau de Chanat depuis la création officielle du Syndicat en 1932. Aujourd’hui, ils sont tous décédés, et si j’ai pu, sans trop d’erreurs j’espère et en sollicitant la mémoire des anciens du village indiquer leurs noms, il m’a été impossible d’être très précis quant à la durée de leurs fonctions. Le premier aurait été Jean Bonjean, né le 21/3/1869 au Gressigny (Orcines), qu’on retrouve au recensement de 1906 à Ternant avec sa femme née Anne Philippe et ses trois enfants. Surnommé Sourléï (Soleil en français), il a laissé le souvenir du bon vieux berger. Âgé de plus de soixante ans quand il est venu garder à Chanat, il avait sans aucun doute exercé ce métier auparavant dans les communes voisines. Décédé en 1937, il pourrait avoir été berger au village de 1932 à 1936. Sylvain Élie Francisque Ardaillon (Élie étant son prénom d’usage) serait le suivant jusqu’en 1939. Il était né à Fontfreyde, commune de Saint-Genès-Champanelle le 19/1/1912. De son mariage, en 1937, avec Jeanne Quinty, fille du forgeron appelé familièrement « le gros maréchal », sont nées deux filles. Il décède en 1941 des suites d’une maladie pulmonaire contractée à la guerre. Pierre Ladent lui a succédé comme berger de 1940 à 1946. Né aux Fontêtes le 27/10/1893, il s’est marié à Chanat avec Anne Genest en 1923. Sur l’acte de mariage il est cantonnier ; les recensements de 1926, 31, et 36 lui attribuent la profession d’agriculteur, et son acte de décès, en 1952, celle de berger. Il a eu trois enfants, dont Marcel dont nous reparlerons plus tard. Appelé « Piare chez Cavant »(du surnom de la famille de son épouse), c’était un homme simple, paisible, apprécié pour son travail. La présence de maquisards près de l’estive des Bruyères et le problème de leur ravitaillement lui aurait causé, parfois, disait-on, quelques soucis. Antoine Fraix, né le 28/7/1910 à Nébouzat, s’est marié en 1938 avec Andréa Meschy dont il a eu deux enfants. Le premier étant né à Nébouzat, laisserait supposer qu’il était berger à cette date dans ce village. Il conduit le troupeau chanatois pendant les années 1947 à 1950, aurait ensuite gardé aux Fontêtes, et décède en 1967. Raymond Dépêcher le remplace durant les années 1951 à 1953. Il naît à Ternant 30/3/1920 et épouse Andrée Ladent en 1947. Il est recensé sur Chanat en 54, avec son épouse et sa fille, comme étant ouvrier d’usine. Il mourra de mort violente en 1960. Karl Eichenberger, berger d’origine suisse né en 1908, figure sur le recensement de 1954. Il n’est resté à Chanat qu’une année. Je me souviens de son parler doux et lent. Quand il allait voir sa famille, il rapportait sur commande quelques montres suisses, dont une pour mon grand-père qui en prenait grand soin. Jean Blateyron le remplace. Né à La Roche Blanche le 3/4/1930, il avait gardé à Ternant avant de le faire à Chanat dont il a charge du troupeau de 1955 à 1960. Recensé au village, où il vit avec Andrée Ladent, veuve, et sa fille, en 1962 il est ouvrier d’usine. Plus tard, il s’installe dans son lieu d’origine, La Roche Blanche, où on le retrouve employé municipal et où il mourra en 1980. Loin de mon village plusieurs années, je l’ai peu connu. Brave homme et bon vivant, il aimait festoyer avec ses copains de Ternant. Jean Mallet mène le troupeau pendant au moins six ou sept années de 1961 à 1968. Recensé comme berger en 1962, c’est celui que j’ai eu l’occasion de côtoyer le plus souvent. Il était né à Bravant (Olby) le 24/7/1913, s’était marié en 1945, était père d’une fille, Françoise, que j’aipu rencontrer et qui m’a aimablement donné renseignements et photos concernant son père.
Ayant contracté la polio à l’âge de huit ans, il fut amputé en 1952 de sa jambe droite suite à une fracture de cette jambe malade. Une prothèse articulée, cachée par le pantalon, repliable manuellement pour s’asseoir, lui permettait de marcher la jambe raide. Pour cela, il prenait appui sur deux cannes et parcourait ainsi des kilomètres jusqu’aux Bruyères où le terrain est difficile pour un tel handicap. Le courage de cet homme m’a beaucoup impressionné. Je revois sa haute stature, ses énormes mains calleuses (ses poignées de main étaient célèbres et redoutables), sa musette, sa casquette de toile bleue, et selon la saison, son gilet ou sa canadienne [8] brune remplaçant le trop encombrant manteau traditionnel. Il ne parlait jamais de sa souffrance, du moignon qui saignait parfois, de la gêne occasionnée par la ceinture spéciale que nécessitait le port de sa prothèse. Il restait jovial malgré tout et blaguait volontiers, avait le mot pour rire. Deux chiens l’accompagnaient, dont son préféré, Nans, peut-être appelé ainsi en souvenir de Nans le berger, le roman célèbre de Thyde Monnier. C’était pour lui une aide précieuse et ils obéissaient sans broncher à ses commandements impérieux. [8] Veste imperméable, de toile ou de peau, longue et épaisse, doublée généralement de peau de mouton. Apparue au début du XXe siècle, elle fut portée surtout au cours des années 1950. On reconnaissait de loin sa silhouette. C’était un personnage ! Très ami avec Jean Saintemarie, maire à cette époque, ce dernier lui avait fait aménager dans sa bergerie de la Salesse une pièce servant de chambre, et je pense que l’acquisition d’une nouvelle cabane plus spacieuse et confortable témoigne de la même intention. Après Chanat, il aurait gardé à La Garenne près de Bromont la Mothe, puis à La Licheyre (Manzat), probablement pour le compte de Louis Saintemarie. Il a terminé sa vie à la maison de convalescence du Mont-Dore en 1988. Louis Chaput le remplace de 1968, année où il figure sur le recensement de Chanat, à 1970. Originaire d’Orcines où il était né le 6/3/1926, frère de Jean Chaput habitant le bourg, célibataire, il décède en 1995. Sans être berger en titre, il arrivait à Baptiste Géraud, né à Chanat le 12/11/1901 et décédé en 1967, de remplacer volontiers le berger lorsque celui-ci était malade ou obligé de s’absenter pour une quelconque raison. Il le faisait par goût et pour être utile.
9 - Les dernières années du troupeau À partir des années 1960, le troupeau s’amenuise. Certains propriétaires, vieillissant, vendent peu à peu leurs moutons qui représentent un travail supplémentaire pour peu de rapport et quelques tracasseries dues aux contrôles sanitaires. Pour lutter contre le piétin, très contagieux surtout par temps humide, soigné jusque là par curetage des pieds malades et désinfection au crésyl, un pédiluve est loué chaque année en début de saison. Les moutons le traversent et y séjournent une trentaine de minutes dans une solution de sulfate de cuivre. À l’initiative de Jean Saintemarie, pour améliorer la production de viande, les brebis du troupeau de race Rava et les quelques béliers de race Caussenarde vont être remplacés par des bêtes de race Limousine. La race Rava est originaire de la Chaîne des Puys. Olby en serait le berceau. La toison est blanche, assez grossière, et la tête marquée de taches noires. C’est une race particulièrement rustique et frugale. Bonne marcheuse, elle se contente de fourrages même grossiers. La femelle donne une toison de 1,5 à 1,8 kg et le mâle jusquà 2,5 kilos. La brebis agnèle sans difficulté, s’occupe bien de ses agneaux, a donc de bonnes qualités maternelles. Si cette race a failli disparaître, absorbée par des croisements divers de races bouchères, elle semble aujourd’hui préservée et comptait environ 40 000 têtes dans les années 2000. Quant aux béliers caussenards, ils sont héritiers d’une longue tradition de transhumance entre les garrigues languedociennes et les Cévennes, l’Aubrac, les Causses. Très bon marcheur, l’animal a une silhouette élancée, une toison blanche à laine courte. Cette race est considérée comme une race à viande rustique. La race Limousine est apparue à la fin du XIXe siècle sur le plateau de Millevaches à la suite de croisements avec d’autres races, a été officialisée en 1943, et utilisée pour la production de viande. Elle est uniformément blanche, avec des mèches de bonne taille. Bien adaptée à des conditions difficiles, ses pattes sont peu sensibles aux boiteries. Elle a également de bonnes facultés à la reproduction.On compte aujourd’hui en France plus de 220 000 têtes. Les propriétaires de moutons de Chanat ont donc acheté en Haute-Vienne des animaux de race limousine : une grosse centaine pour Jean Saintemarie, une dizaine seulement pour chacun des autres : Jacky Vidal, Roger Bonnefoy, Robert Fournier, en raison de leur prix élevé. Une dizaine d’années plus tard, c’est la fin du troupeau commun. En 1969, Jean Saintemarie quitte Chanat pour s’installer en Médoc, à Saint-Laurent-et-Benon, sur un domaine de 600 hectares, pour y cultiver du maïs. Marcel Vidal, jeune agriculteur de l’Étang né en 1944, reprend la propriété de Jean Saintemarie et son troupeau. Jacques Vidal lui vend ses derniers moutons. Le troupeau personnel de Marcel Vidal, environ 500 mères, est confié à un jeune berger pyrénéen. Après la mort accidentelle tragique de son père, Pierre, au cours d’un travail de bottelage en août 1971, l’année suivante, Marcel Vidal quitte lui aussi Chanat. Il partira près de Corteil, dans le département du Cher, pratiquer la culture de céréales et l’élevage de volailles. Sur le recensement de 1975, on voit apparaître Marcel Ladent, berger. Cet homme né à Chanat le 1/6/1925, célibataire, avait gardé aux Fontêtes jusqu’en 1974, date de la disparition du troupeau commun de ce village. Revenu habiter dans sa maison de Chanat, il garda quelques temps son troupeau personnel. Chaque berger possédait quelques moutons qui lui assuraient un petit supplément de revenu. Si je mentionne ici Marcel Ladent, c’est parce que cet enfant du pays était le fils de Pierre Ladent, berger du village durant les années de la Seconde Guerre Mondiale. Garçon doux, souriant, il avait probablement accompagné son père assez souvent et appris avec lui son futur métier. Il était encore berger, m’a dit sa sœur Milou, à Cournols vers La Roche Blanche, au moment où il décéda en 1979. Une photo le montre en tenue traditionnelle de berger, avec le manteau rayé, la boulade et même la musette.
Depuis que l’élevage des moutons a disparu de Chanat, les cabanes et les éléments du parc ont pourri, les bacs ont été recouverts par les fougères, les buissons et les arbres ont envahi les espaces des Bruyères… Le tintement des sonnailles, les odeurs de bergerie, la silhouette du berger ne sont plus que de lointains souvenirs.
10 - L'élevage ovin dans les villages voisins Si l’élevage ovin a disparu à Chanat en 1972, qu’en a-t-il été dans les villages voisins ? Le troupeau commun de Beauregard prend fin en 1974. Les paysans n’ayant pas de bêtes souhaitaient planter les pacages sectionnaux en conifères dont la pousse est plus rapide que celle des feuillus. Celui des Fontêtes se termine plus tardivement. Ses deux derniers bergers seront Francisque Roussel qui a gardé de 1974 à 1977, puis Louis Chaput jusqu’en 1986. L’intervention du Parc des Volcans, par ses aides financières pour la remise en eau des bacs de la fontaine des Pères, un parc de tri avec pédiluve au pied du puy des Gouttes, des clôtures (qui amènent la disparition des bergers), permettra le maintien de l’élevage ovin. Vers les années 2000, les sectionnaux [9] seront partagés entre éleveurs de bovins et éleveurs d’ovins. [9] Dans le milieu rural, biens dont la jouissance revient aux habitants d'une section de commune. Aujourd’hui, quatre propriétaires de moutons : Serge Bardin, Hervé Valette qui détient le plus grand nombre de bêtes, Stéphane Valette, Michel Tixier, gèrent chacun sa surface de pâture et son cheptel. L’ensemble représente un millier de bêtes environ. À Ternant, le troupeau commun se maintient jusqu’en 1986, avec quelque 250 moutons appartenant à trois éleveurs : Jean Dépêcher, Elie Fournier qui en compte le plus, Antonin Pailloux. Ces deux derniers ont gardé leurs bêtes pendant quelques années après 1986. Le dernier berger a été Francisque Roussel, dit Sissi, originaire d’Olby. De nos jours, une passionnée de plus de quatre-vingts ans, Ginette Lauradoux, élève encore une vingtaine de brebis. Les villages de la commune de Chanat, l’Étang, la Mouteyre, ou Égaules plus lié à Chanat pour sa proximité qu’à Volvic, commune dont il fait partie, n’ont pu participer au troupeau commun, et l’élevage du mouton, resté individuel, s’est peu à peu terminé entre les années 1960 et 1970. Mais en 1993, un élevage de moutons a vu le jour à Égaules. Propriété de Philippe Géraud, cette belle exploitation moderne et bien tenue compte 700 mères, 22 béliers et, annuellement, environ un millier d’agneaux de boucherie. Ses brebis appartiennent à des races rustiques : Blanche du Massif Central, Noire du Velay, Romanov croisée Ile-de-France. Ses béliers sont de race Berrichonne, Suffolk, Ile-de-France. Les bêtes pâturent sur une quarantaine d’hectares en pacages clôturés. Les prairies de fauche s’étendent sur soixante hectares et les cultures de céréales sur vingt hectares environ. Ces dernières, triticale [10], blé, avoine, seigle, sont consommées telles quelles. [10] Hybride du blé et du seigle créé dans les années 1960. Il est cultivé surtout comme céréale fourragère. Une rotation est pratiquée pour les agneaux entre vie en bergerie et vie à l’extérieur durant un mois pendant l’été. Ils sont vendus en vif lorsqu’ils atteignent 30 à 40 kilos. Un tel élevage est évidemment soumis à des règles sanitaires : tous les cinq ans, une prise de sang est effectuée sur le tiers du troupeau et les futures mères sont vaccinées. Le piétin, moins à craindre sur les sols granitiques, est traité au sulfate de zinc. Les maladies pulmonaires et infections diverses, surveillées, ne représentent pas un problème pour cet éleveur. L’estive d’Orcines qui se perpétue depuis des décennies, va connaître au cours des vingt-cinq dernières années de très intéressantes initiatives. En 1989, l’important troupeau des éleveurs d’Orcines et de l’extérieur compte 2000 têtes. Il ne fonctionne que pendant l’été, du 15 mai au 15 octobre approximativement. À partir de l’année suivante, les efforts de Patrice Fournier appuyé par Michel Faure, maire à l’époque, aboutissent à d’importants travaux pour débroussailler, aménager des points d’eau, clôturer des espaces en vue de donner à cette estive plus d’ampleur et un visage nouveau en y incluant des bovins. Ce sont 80 vaches, principalement de race Montbéliarde, et quelques Charolaises, appartenant à cinq éleveurs, pâturant sur le site de la Croix de Ternant. Cette estive couvre 80 hectares et celle des ovins 500 hectares environ. L’utilisation de ces espaces résulte d’un partenariat entre collectivités, propriétaires de parcelles et le Syndicat mixte d’exploitation forestière. La coopérative d’élevage ovin a eu comme présidents Jean Mosnier, éleveur à Sarcenat, pendant une vingtaine d’années, puis Franck Mosnier son fils, de 1995 à 2005, aujourd’hui Christian Pichon. Sur les 2100 moutons qui ont pacagé cette année sur les pentes du Pariou, du Petit Suchet, du Petit Puy de Dôme (300 brebis ont même été autorisées à paître sur des parcelles du sommet du Puy de Dôme, une dizaine de jours, en juin et septembre). 700 environ appartiennent à des éleveurs d’Orcines. Franck Mosnier possède 450 mères, Christian Pichon en a dans les 200 et Philippe Chavrier autour de 100. Les autres animaux viennent de Gelles (250 pour Jean-Luc Touret), Ceyssat (moutons de Michèle Baudoin, active secrétaire générale de la Fédération nationale ovine), Bromont-la-Mothe, Chapdes-Beaufort, Queuille, Combronde, Aydat. La conduite du troupeau, d’abord l’affaire d‘un berger, a été confiée à des couples de bergers pour lesquels on avait aménagé une cabane confortable sur roues, de 3 m sur 6, remplacée cette année par un chalet sur plots de 40 m2, comprenant cuisine, douche, chambres, salle à manger avec poêle à bois, eau, électricité fournie par panneau solaire. Une niche est prévue pour abriter les chiens. Les promeneurs se souviennent peut-être d’avoir rencontré au pied du Puy de Pariou, il y a quelques années, ce couple de sympathiques bergers : Valéry et Maxime Magdelin et leur enfant, gardant leur troupeau de Ravas.
11 - Cabanes d'ici et d'ailleurs En revoyant les nombreuses photos de cabanes que j’ai rassemblées, j’ai fort envie de les partager avec les curieux, les collectionneurs, les bricoleurs,… et rêver à d’improbables restaurations. J’aimerais tenter une classification en tenant compte d’abord du mode de déplacement de ces abris mobiles ensuite du type de toiture. 11.1 Modes de locomotion Cabane sans roue, type chaise à porteurs Sans roues mais pourvue de quatre poignées, cette cabane beauceronne à quatre pieds exclut de grands déplacements. On devait la déplacer manuellement avec le parc. L’ouverture est à deux battants.
Cabane à deux roues et timon pour attelage bovin Le timon est protégé par une bâche. Les roues à rayons sont en bois avec bandage métallique. L’entrée est faite de deux portes sur glissières, avec une aération ronde. Le toit, couvert de zinc, est prolongé à l’arrière par une petite avancée.
Cabane à trois roues, type triporteur Roues de bois à rayons et bandage. Simple porte maintenue ouverte calée par une boulade. Le toit est recouvert de tôle nervurée. L’attelage se fait par la droite.
Cabane à quatre roues Elle figure sur les enluminures du XVe siècle supra. On la trouve aussi sur une aquarelle du XIXe siècle du peintre Jean-Ferdinand Chaigneau. La roulotte, aux planches peintes en bleu clair et au toit zingué, possède deux essieux assez espacés entre eux pour ménager une porte non coulissante entre les deux roues latérales. Dans le pignon visible, se dessine, sous les deux rampants, une petite ferme constituée d'un entrait, de deux arbalétriers et d'un poinçon. L'habitacle semble relativement spacieux, on devait pouvoir y pénétrer en baissant la tête et se tenir debout sous le faîte.
Cabane à roues pleines en bois Si l'on s’intéresse aux roues, on trouve des roues pleines en bois, les plus primitives, qui ne demandent pas un aussi grand savoir-faire que celles à rayons des modèles ci-dessus.
Cabane à roues métalliques à rayons Dans cette cabane beauceronne, les deux roues sous l'habitacle sont en métal, la troisième roue est en bois cerclé de fer.
Cabane à roues de récupération d’origine automobile Entièrement habillée de zinc, la cabane de Récoleine possède des roues avec bandage en caoutchouc et Renault Billancourt inscrit sur le bouton. Entrée de 1,08 m x 0,68 m. Fenêtre et volet coulissants. Son originalité consiste, à l’arrière, en l’ouverture du coffre de tête de lit sur l’extérieur, servant peut-être de niche à chien. Le lourd timon de fer pour tracteur a remplacé le timon de bois, plus utilisé que la limonière [11] lorsqu’on déplaçait les cabanes auparavant. [11] Limonière : espèce de brancard formé des deux limons d'une voiture.
11.2 - Toiture La toiture est un élément important pour la préservation et le confort de la cabane. Le toit comporte habituellement deux pentes, symétriques ou dissymétriques quand cela permet une porte d’accès plus haute, soit en façade, soit sur une face latérale. La toiture de planches est peut être goudronnée ou, comme le plus souvent, recouverte de zinc. Cabane type tente canadienne avec accès frontal L’habitacle est toujours un parallélépipède rectangle, et ce semble être une évidence ! Mais un dessin un peu maladroit du XVe siècle nous révèle une forme inattendue. Sur roues de bois à rayons, la cabane a des brancards avec crochets pour atteler un âne ou un mulet car elle doit être légère.
Cabane à toit monopente On a affaire à un habitacle de planches, assez bas, au toit à un seul versant. Il est posé sur un essieu fixe central, aux deux roues entièrement en bois, petites et massives. À la base du pignon avant, on aperçoit une sorte de timon, très court. Cette « chambre mobile », comme l'appelle le photographe, n'est pas assez haute pour la position debout.
Cabane à toit très dissymétrique Le toit très dissymétrique permet une porte de 1,55 m x 0,55 m qui possède un volet-abattant de fer (une petite fenêtre bénéficie du même dispositif). Le système de réglage de l’horizontalité est visible au départ du timon. Cette cabane et ses belles roues de fer était l’œuvre du maréchal de Ternant : Jacques Pérouzat dit Le Rond.
Toit à isolation de paille s’abaissant sur l’avant et l'arrière de la cabane Efficace contre le froid et la chaleur, la paille est maintenue par un cadre de bois et son faîtage, tressé, est particulièrement soigné. À l’arrière-plan, le lac de la Cassière, proche du lac d’Aydat.
Cabane à isolation de paille sur le toit et les quatre côtés Dans cette cabane de Fontanas, la paille recouvre non seulement les deux versants de toiture mais aussi les gouttereaux et les pignons, formant une sorte de capitonnage maintenu en place par des bandes métalliques boulonnées sur les planches.
11.3 - Accès à l'intérieur L’accès à l’intérieur nécessite plus ou moins de souplesse selon les dimensions de l’entrée. Sur les modèles anciens, elle se situe sur les côtés latéraux. Elle est fermée par une ou deux portes sur glissières lorsque les roues empêchent une ouverture sur charnières à un ou deux battants. Cette dernière est possible cependant sur les cabanes à trois roues, l’essieu des deux roues étant déporté par rapport au milieu de l’habitacle. Sur les modèles plus récents, la porte est placée sur la face avant ou arrière et en occupe la moitié de la largeur. Toutes les versions ont été présentées en photo. La fermeture est généralement sécurisée par un cadenas.
12 - Images au fil du temps L’évocation des temps anciens est souvent source de nostalgie, peut-être parce que ces temps désormais figés, un peu embellis, sont devenus apaisants, rassurants. Seuls les temps à venir peuvent faire naître de l’inquiétude pour celui qui redoute l’inconnu, le changement, la vitesse qui bouscule les habitudes de notre univers mental et physique. Je voudrais terminer en rapprochant deux photographies prises sur le même lieu, les pacages à moutons au pied du Puy de Dôme, à moins d’un siècle d’intervalle !
DOCUMENTS ANNEXES 1 - Cabane du troupeau de Chanat dans les années 1960 Un document de 1964, Monographie du pays de Chanat-la Mouteyre, due à l’instituteur du village, Roger Hocquaux, et que m’a transmis Gérard Tourrette, m’a donné l’heureuse surprise d’y découvrir une photo, la seule peut-être, de la dernière cabane des bergers de Chanat ! Elle est située devant la bergerie de Jean Saintemarie, à la Salesse, qui compte à l’époque 160 brebis de race limousine. Son aspect supposé, supra, s’en trouve un peu modifié. Sa conception, de toute évidence, est très proche de la cabane de Ternant (voir supra figure 31 - Cabane à toit très dissymétrique), œuvre d’Armand Gilbert dont nous avons parlé. On retrouve le toit dissymétrique permettant une porte latérale plus haute avec son ouverture à volet-abattant métallique, et une fenêtre fermée par le même type de volet. (la base de la porte est un peu abîmée) Différence : les roues de fer, entièrement apparentes, sont encastrées dans l’habitacle, ce qui bénéficie au volume intérieur en gardant le même empattement. Le système de mise à l’horizontale de la cabane est courant, utilisant une tige de fer verticale plate percée de trous et des chevilles pour régler la hauteur. Le toit est probablement recouvert de zinc, comme toutes les cabanes rencontrées, et l’aménagement intérieur fait d’un couchage d’environ 70 cm de large, le long de la paroi opposée à l’entrée, et de quelques rangements.
2 - Chemins vers les pacages des Bruyères
3 - Conflit entre Chanat et les Fontêtes (1747-1750) De très intéressants documents, fruit des recherches approfondies de Jean-Pierre Le Moine, publiés dans Chanat-Infos du 4e trimestre 2012, relatent les différends violents entre les habitants de Chanat et ceux des Fontêtes à propos des pacages « sous Chopine ». Si les moutons sont des animaux paisibles, les humains le sont parfois beaucoup moins ! Rappelons brièvement qu’en 1747 le garde du troupeau de Chanat, Pierre Perol, est frappé violemment par deux hommes des Fontêtes qui faisaient paître leurs bêtes sur des pacages appartenant aux Chaneyres (terme encore employé aujourd’hui par les anciens). Venus secourir leur garde du bétail, des habitants du village, 80 selon leurs adversaires, se sont emparés de 780 moutons des Fontêtes et les ont conduits au château de Chanat. Ces heurts ont évidemment entraîné des actions en justice et un indispensable règlement, en 1750, des problèmes récurrents de limites entre les deux communautés. La reproduction du plan d’époque, sur la page suivante, éclaire ce sujet. Ces documents nous apprennent que le territoire des Bruyères, lieu d’estive pour le troupeau chanatois au XXe siècle, a vu son aspect changer au cours des temps : déboisé, défriché au cours du XVIIIe siècle, il accueille non seulement des troupeaux, mais des cultures de céréales, blé, seigle, avoine…Il est vrai que si l’on en croit d’anciens émoignages, le sommet plus ou moins plat du Puy Sarcouy ou Gros Chaudron, à une altitude proche de 1150 mètres, portait des cultures. D’ailleurs, les traces parallèles de roues, creusées dans la domite (12) tendre, encore visibles sur le flanc sud de ce puy, pourraient être le vestige d’un chemin d’accès vers le sommet. Le reboisement des Puys au XIXe siècle est suivi dans les années 1930 de « nettoyages », pour accueillir le troupeau ovin dont nous avons parlé, avant d’être envahi d’arbres après 1980. Ainsi, l’évolution de l’élevage modèle les paysages. (12) Roche volcanique blanchâtre, d'aspect crayeux, qui compose les volcans de la chaîne des Puys, dont le puy de Dôme. Ces mêmes recherches font mention d’un cheptel de 120 moutons appartenant au seigneur de Chanat, et d’un nombre encore plus grand appartenant aux habitants du village. Le conflit de 1747 semble faire allusion à un important troupeau commun puisqu’il est confié à un garde à qui tout le village apporte son soutien. Par la suite, ce troupeau décline puisque, cent ans plus tard, cinq propriétaires seulement possèdent des moutons, ce qui rend peu probable l’emploi d’un berger loué. Il faudra attendre le renouveau de l’élevage ovin et le Syndicat de 1932 pour renouer avec la pratique du troupeau commun sous la garde d’un berger. On peut également supposer que le Syndicat n’a fait qu’organiser, « légaliser » et dynamiser une pratique existant déjà depuis plusieurs années.
4 - Plan des pacages contestés Plan des Bruyères (1750) correspondant au cadre vert sur la carte précédente.
5 - Ressources en bétail (1944)
6 - Livres de comptes de Gilbert Armand Extraits des livres de comptes d’Armand Gilbert, charron à Ternant, concernant des réparations effectuées sur la cabane du troupeau de Chanat dans les années 1950 : elles portent sur les roues, le timon, la toiture.
(13) Comprendre « enturer », néologisme formé sur « enture », assemblage par entailles de deux pièces de bois mises bout à bout. (14) Reliquat de l'année précédente.
BIBLIOGRAPHIE Élian-Judas Finbert, La Vie Pastorale, Juillard, Paris, 1942 Pierre Mélet, Le Galvaudeux, éd. Au Clair Matin, Gap, 1947 Roger Boutefeu, Je reste un barbare, éd. du Seuil, Paris, 1962 Roger Boussinot, Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes, livre de Poche n° 4944, Robert Laffont, Paris, 1976 Anne-Marie Brisebarre, Bergers des Cévennes. Histoire et ethnographie de l'élevage ovin et de la transhumance en Cévennes, Berger-Levrault, Paris, 1978 Marcel Scipion, Le Clos du roi, collection « mémoire vive », Seghers, Paris, 1978 Pierre Mélet, Bergers, mes amours ! Ces témoignages qui viennent du peuple, chez l'auteur, Antonaves, 1978 André Abbé, Henri Bresc, Jean-Paul Ollivier, Bergers de Provence et du pays niçois, éd. Serre, Nice, 1996 Marc Prival, Madeleine Jaffeux, Michel Leblond, Ainsi va l'homme en ses métiers, Éditions Creer, 1999 Nicole Reynès, Christophe Latour, Moutons et bergers, éd. Rustica, Paris, 2000 Julien Ventre, Julien, berger des collines, coll. «Terre de poche », De Borée, Clermont-Ferrand, 2002 Marcel Imsand, Luigi le Berger, Fondation Pierre Granada, Martigny (Suisse), 2013
REMERCIEMENTS La modeste brochure intitulée Chanat-la-Mouteyre. Sur les traces de nos bergers, qui a servi de source au présent article, était destinée aux personnes qui s'intéressent au passé de leur village. M. Lassure m'honore de la publier dans la revue L'Architecture vernaculaire et il faut bien dire qu'il lui a apporté outre ses compétences informatiques, les notes explicatives de certains termes, des précisions relatives aux références photographiques, une présentation admirable. Qu'il soit très sincèrement remercié pour son précieux travail. Roger Laubignat
Référence à citer / To be referenced as : Roger Laubignat Vie et logement du berger à Chanat-la-Mouteyre et alentour dans le Puy-de-Dôme au XXe siècle (The shepherd's life and lodging at Chanat-la-Mouteyre and nearby in Puy-de-Dôme in the 20th century) L'Architecture vernaculaire (en ligne), tome 44-45 (2020-2021) http://www.pierreseche.com/AV_2020_laubignat.htm 17 octobre 2020
L'auteur : Né en 1932, originaire de Chanat, Roger Laubignat a participé longtemps aux travaux paysans. Il est l'auteur de deux articles, parus dans L'Architecture vernaculaire, sur les cabanes-roulottes de son département : « Cabanes-roulottes de bergers dans la chaîne des Puys (Puy-de-Dôme)» et « Cabane-roulotte de Ternant (à Orcines, Puy-de-Dôme) ». Il a participé, par ses recherches documentaires, à l'élaboration de l'article « La roulotte de berger vue par les artistes ».
© CERAV, Paris Série : La roulotte de berger I - Christian
Lassure,
La roulotte de berger
d'après des cartes postales et photographies anciennes II - Christian
Lassure,
La roulotte de berger d'après des enluminures de la fin du Moyen Âge III - Christian
Lassure,
La roulotte de berger d'après des spécimens subsistants IV - Christian
Lassure,
Cabane à roues tirée par une paire de bœufs à Saint-Léger-du-Malzieu (Lozère) dans les années 1950 V - Christian
Lassure,
Berger et sa cabane à roues à Saugues (Haute-Loire) dans les années 1950 VI - Christian
Lassure, Un
fabricant de roulottes de berger : Vasseur X., à Sancourt (Somme) VII - Roger Laubignat,
Cabanes-roulottes de bergers dans la chaîne des Puys (Puy-de-Dôme) VIII - Roger Laubignat,
Cabane-roulotte de Ternant (à Orcines, Puy-de-Dôme) IX - Christian Lassure, Roger Laubignat, La roulotte de berger vue par les artistes X - Roger Laubignat, Vie et logement du berger à Chanat-la-Mouteyre et alentour dans le Puy-de-Dôme au XXe siècle
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