L'ÉVOLUTION DE LA CABANE CAMARGUAISE AU XXe SIÈCLE
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Document No 1 |
Carte postale colorisée
des années 1950-1960 (bords dentelés). |
Avec cette carte postale colorisée des années 1950-1960, on quitte les Saintes-Maries-de-la-Mer et le cœur de la Camargue pour Port-Saint-Louis-du-Rhône et l'Est de la région.
Au premier coup d'œil, on se rend compte que la petite cabane blanche au centre du cliché, relève d'un style tout nouveau qui est marqué par des rampants surhaussés par rapport aux versants de la toiture et terminés en bas par une sorte d'encorbellement au-dessus des angles pignon/gouttereau. Le pignon, dont l'élévation fait penser à un losange, a quelque chose d'architecturé.
Comme dans les cabanes à pignon en dur de la 1re moitié du XXe siècle, la porte d'entrée est décalée vers la gauche mais ce n'est pas pour cause de cheminée adossée intérieurement contre le pignon : celle-ci est en effet reléguée à l'intérieur de la pièce contre un refend (sinon remplacée par un poêle) comme l'indique la position de la souche de cheminée bien en arrière, au tiers du faîtage. Le décentrage de l'entrée a été conservé et il permet d'ouvrir un fenestron dans la partie de droite du pignon.
Curieusement, le cabanier a laissé au pignon sa souche de cheminée, quoique factice, mais en l'intégrant, sous forme d'excroissance, au rampant de droite.
Le versant de toiture visible ne compte pas plus de cinq rangées de roseau, ce qui donnne une idée de la petitesse de la cabane.
L'éclairage du bâtiment est obtenu par une petite fenêtre percée dans le gouttereau, côté chemin. On peut penser que le pendant existe dans le gouttereau opposé.
Une autre curiosité de cette vue réside dans le fait que la grande cabane à l'arrière-plan, est disposée à angle droit par rapport à la petite, alors qu'on s'attendrait à voir deux bâtiments disposés en parallèle, la croupe au vent. On peut penser que c'est la petite cabane, qui offre le moins de prise au vent, qui contrevient à la règle. |
Document No 2 |
Carte postale des
années 1970 |
Dans ce petit bâtiment flambant neuf bordant une roubine, nous retrouvons cette innovation qu'est le fronton en forme de losange. On observe toutefois une différence : la cheminée est bien adossée contre la paroi intérieure du pignon – d'où l'absence de fenestron – et la souche de cheminée, en haut du rampant de droite est bien fonctionnelle. Autre différence : le gouttereau visible est percé non pas d'une mais de deux fenêtres. On se demande d'ailleurs comment fait l'habitant pour ouvrir les volets avec l'obstacle de la rive de sagne. Le versant de toiture visible comporte sept rangées de sagne, dont une double en rive, ce qui est le signe de la faible élévation de la cabane. La porte d'entrée est dotée d'un volet extérieur. |
Document No 3 |
Carte postale en
couleur des années 1960-1970. |
Au plan architectural, cette maisonnette est semblable en tous points à la précédente. Elle ne s'en éloigne que par son décor extérieur, un fer de harpon surdimensionné, plaqué dans le triangle du pignon et proclamant le caractère « gardian » de l'édifice. Le versant de toiture visible comporte six rangées de roseau; la rangée en rive a une double épaisseur. Le portail d'entrée de la parcelle, fabriqué à partir de roues de charrettes et de fers à cheval, relève du recyclage, alors en vogue, des outils du monde rural. Cette cabane existait déjà dans les années 1950 ainsi que l'atteste une carte postale en noir et blanc aux bords dentelés très caractéristiques (voir carte suivante). |
Document No 4 |
Carte postale en noir
et blanc des années 1950 (les bords dentelés ont été supprimé au recadrage). |
Le fer de harpon ornemantal apposé sur la façade ne laisse aucun doute : c'est le même édifice, au moins une dizaine d'années plus tôt. Il paraît flambant neuf. Son côté droit comporte deux fenestrons comme son homologue gauche. Une croix est visible en haut du pignon alors qu'elle n'apparaît pas sur la carte postale en couleur des années 1960-1970. |
2 - Les cabanes hôtelières à la gardiane
Une des conséquences de la vogue du tourisme équestre aux Saintes-Maries-de-la-Mer à partir des années 1950, a été la création d'auberges cavalières et de cabanes hôtelières, destinées à accueillir et à loger les amateurs de tourisme équestre.
Document No 5 |
Carte postale en
couleur des années 1970. |
Cette vue aérienne de l'auberge cavalière du Pont des Bannes aux Saintes-Maries dans les années 1970 révèle un essaim d'une douzaine de cabanes à pignon losangique perdues dans la végétation et servant manifestement à loger des touristes. On passe ici de la production artisanale à la production en petite série ! Quant à l'auberge elle-même, également digne d'attention, elle fera l'objet d'une description plus avant.
Ces petites cabanes hôtelières à la mode gardiane ne comptent pas plus de six rangées de roseau par versant de toiture. Chaque entrée est dotée d'un volet extérieur qui se rabat sur la partie droite du pignon. |
Document No 6 |
Carte postale colorisée
des années 1950-1960 (bords dentelés, non conservés ici) (existe aussi en noir et
blanc) (a circulé en 1960). |
Les mêmes logements apparemment, mais peu de temps après leur édification à en juger par la végétation encore maigrichonne et clairsemée (et le fait que la carte est antérieure d'au moins une dizaine d'années à la précédente).
Les pignons, avec leur entrée élancée et leur regard dans la partie de droite, sont en tous points semblables à ceux de la cabane de Port-Saint-Louis-du-Rhône supra.
Les entrées ont une porte s'ouvrant vers l'intérieur mais n'ont pas encore reçu de volet extérieur. |
Document No 7 |
Carte postale des
années 1950-1960 (bords dentelés, non représentés ici). |
Toujours les mêmes cabanes hôtelières, mais dotées désormais d'un volet d'entrée qui se rabat à droite sans cacher le fenestron. |
Document No 8 |
Carte postale noir
et blanc des années 1960 (bords dentelés). |
D'après la légende au dos de cette carte qui a voyagé en 1963, la scène se déroule au « domaine de Méjanes par Arles », c'est-à-dire le domaine à vocation agricole et touristique créé en 1939 par Paul Ricard en bordure de l'étang de Vaccarès (1).
Derrière la troupe de chevaux qui, comme par hasard, passait par là, suivie de son gardian, on aperçoit cinq cabanes à pignon losangique, toutes bâties sur le même modèle, manifestement des cabanes hôtelières destinées aux touristes amateurs de chevauchées gardianes. La légende parle de « village de cabanes de gardians », appellation qui, à défaut d'être authentique, est de nature à dépayser le chaland (2).
Ces cabanes, qui sont faites pour y passer la nuit et non pour y vivre, diffèrent légèrement de celles de la carte précédente par l'absence de regard en pignon, à droite de l'entrée, et par la présence d'un minuscule auvent de chaume au-dessus de la porte d'entrée. Leur fronton se termine par une fausse souche de cheminée, en souvenir de l'archétype des anciennes cabanes.
Elles ne comportent pas plus de quatre rangées de sagne par versant, rangées de si faible épaisseur qu'elles ne semblent être là que pour la décoration. La chape de plâtre est une étroite bande bien rectiligne, d'aspect factice (3).
(1) Ce domaine est pourvu d'une véritable gare à la mode gardiane, aux murs blanchis et à la couverture de roseaux : elle permet d'accéder au petit train faisant le tour de la propriété.
(2) Cette appellation n'est pas sans évoquer le célèbre « village des bories » à Gordes dans le Vaucluse, réunion de granges et de cabanes en pierres sèches où l'on chercherait en vain église, mairie, école. Ainsi va l'évolution de la langue...
(3) Ces cabanes, au nombre de 32, devaient être démolies pour cause de vétusté en 1970 (cf. La Charte révisée, sur le site « Renaissance Saintoise », 20-10-2009). |
Document No 9 |
Carte postale noir et blanc des années 1950-1960. |
Cette carte publicitaire nous fait voir de près une de ces cabanes hôtelières du domaine de Méjanes. On dirait une châsse, un reliquaire. L'édicule repose sur un socle de béton si bien qu'un perron de deux marches précède l'entrée. Tout ce qui est en dur (socle, murs, chemise de faîte, encadrement des baies, etc.) est parfaitement rectiligne. Même les rangées de sagne tendent vers la rectilinéarité. Les jeunes gens assis sur les marches et serrés l'un contre l'autre sont là pour transmettre le message que la cabane est la retraite idéale pour un couple d'amoureux. La vespa posée sur sa béquille n'est pas sans évoquer le film Vacances romaines de William Wyler (1953) et la fameuse balade à vespa d'Audrey Hepburn et Gregory Peck. |
Document No 10 |
Carte postale des
années 1970. |
Le photographe ayant fait un pas de trop en arrière et étant tombé dans la roubine, nous avons droit à cette vue pour le moins insolite, prise à travers les roseaux, d'une cabane de gardian...
Ce qui fait l'intérêt de cet édifice, c'est son pignon-façade aux rampants surhaussés (ou découverts) se terminant en bas non pas par un angle mais par un arrondi. Autres particularités, la présence d'un fenestron dans le triangle du pignon et celle d'un large auvent au-dessus de la porte d'entrée. |
3 - Les maisons à la gardiane
Si la plupart des cartes postales des années 1960 à 1980 usent encore de l'expression « cabane de gardian », quelques-unes adoptent un qualificatif tout nouveau, celui de « maison de gardian », ou « maison à la gardiane », tenant compte ainsi du changement d'échelle dans les dimensions et le confort des nouvelles constructions (4). Le pignon losangique, pour sa part, est omniprésent.
(4) Ce changement d'échelle a peut-être commencé deux décennies plus tôt. En effet, en 1942, on avait construit sur la commune d'Arles, près du hameau de Saliers, un camp d'internement pour gitans comprenant 24 bâtiments semblables à des maisons de gardian avec un toit en roseau. Saliers étant situé dans un site naturel classé, l’architecte des Monuments historiques avait été chargé du projet, aussi l’esthétique avait-elle été particulièrement soignée. Cette installation, où plusieurs centaines de nomades avaient été internés et qui avait fonctionné jusqu'en août 1944, devait servir en 1952 de décor (le « village guatémaltèque ») au célèbre film Le salaire de la peur, avant d'être rasée. Sur cette page d'histoire, cf. Mathieu Pernot, Un camp pour les bohémiens – Mémoires du camp d'internement pour nomades de Saliers, éd. Actes Sud, 2001, 110 p.
Photo du camp de Saliers en construction. Source
inconnue. Les trois ouvertures latérales sont révélatrices de la grande taille des bâtiments. |
Document No 11 |
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Si ce bâtiment présente les mêmes caractéristiques (pignon en losange, fausse souche de cheminée, porte décentrée dans la partie gauche du pignon, petite fenêtre à appui en ciment dans la partie droite) que les cabanes hôtelières précédentes, il s'en éloigne toutefois par ses dimensions, lesquelles sont celles d'une véritable maison : la porte d'entrée paraît toute petite et étroite par rapport au vaste pignon et le versant de toiture compte jusqu'à 15 rangées de sagne, celle de la chemise comprise. C'est de « maison de gardian » qu'il faut parler, ainsi que le fait à juste titre la légende de la carte.
Le photographe a pris du recul, mais même au bout de sa roubine l'édifice n'a pas perdu de sa grandeur. |
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Document No 12 |
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Carte postale en
couleurs des années 1970 (tampon de la poste de Grau-du-Roi, dans le Gard, en
date du 20-8-1971). |
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Bien que qualifié de « cabane de gardians » au dos de la carte, ce bâtiment mérite davantage le terme de « maison » eu égard à sa largeur et son élévation importantes et la raideur de ses versants de toiture (il y a douze rangées de sagne, celle de la chemise comprise, alors que les cabanes hôtelières décrites précédemment n'en comportent que quatre ou cinq).
Si le pignon-façade tient du losange avec ses deux encorbellements à la base des rampants, en revanche la fausse souche de cheminée est absente. Une vraie souche se dresse en arrière, sans doute au niveau d'un refend. Deux petits regards s'ouvrent dans la partie de droite du pignon, au-dessus d'un appui.
Qui dit « cabane de gardian », dit « roubine ». Celle-ci est au premier plan et un pont la traverse, bordée de deux murs-bahut à chapeau de tuiles, pour le moins prégnants. |
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Document No 13 |
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Carte postale en couleur
des années 1960-1970 (a voyagé du 28-8-1968 au 30-8-1968). |
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La même bâtisse, vue de plus près. On distingue mieux le gouttereau avec sa fenêtre à appui et son petit réduit adventice (pour abriter une bouteille de gaz ?). La couverture de chaume compte 12 rangées de roseau, dont celle de la chemise. La rangée de rive superpose deux épaisseurs. |
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Document No 14 |
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Carte postale en
couleur des années 1960. |
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Encore plus imposante que la précédente, cette « cabane au milieu des marais » ne doit vraisemblablement plus grand chose au cabanier en dehors de sa couverture de chaume et il ne serait pas surprenant qu'un architecte soit intervenu dans sa conception et son tracé.
La partie droite du pignon est percée d'une baie plus large que haute, inédite dans la construction de cabanes de gardian. La fausse souche de cheminée émousse la pointe du pignon, alors même que la vraie souche se dresse quelques mètres en arrière. Les encorbellements à l'amorce des rampants sont désormais impressionnants. On dirait que la fonction du pignon maçonné est surtout de cacher la couverture de sagne, du moins à l'observateur placé dans l'axe médian du pignon. On compte jusqu'à 15 rangées de roseau, celle de chemise comprise, sur le versant de toiture visible. Une toile rouge pend dans l'embrasure de la porte d'entrée : sur ce point, la tradition est sauve.
Il se pourrait bien que cette grande maison soit en fait la « Cabane du Boumian » à son origine (voir documents 19, 22 et 23 infra). |
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Document No 15 |
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Carte postale
des années 1950 (bords dentelés) |
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Le même édifice, mais en noir et blanc et quelques temps après : on distingue, à droite, une sorte d'annexe en tôles d'éternit qui n'existe pas dans la précédente, et une petite croix gardiane qui est apposée sur le pignon entre porte et fenêtre. |
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Document No 16 |
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Carte postale en couleur
des années 1960 (a circulé en 1966). |
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Encore le même bâtiment, mais avec une jeune cavalière souriante prenant la pose pour le photographe (même la monture regarde en direction de l'appareil photo...). Elle est en tenue de gardian : pantalon étroit à liseré latéral, chemise à longues manches, foulard autour du cou, chapeau à large bord, jambières de protection. Elle apparaît, seule ou accompagnée, sur plusieurs vues prises le même jour : à cheval sur la passerelle de rondins ou sur le bord de la roubine, ou à pied, flattant sa monture, un gardian à ses côtés.
Manifestement, cette vue rompt avec la représentation féminine obligée de l'Arlésienne en croupe des premières décennies du XXe siècle. |
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Document No 17 |
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Carte postale colorisée
des années 1950-1960 (bords dentelés; a circulé en 1962). |
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Toujours le même édifice, vu de trois quarts droite, ce qui permet de mieux juger de sa longueur et du nombre de fenêtres qu'il présente en gouttereau.. Le caractère massif des rampants découverts est accentué par l'absence d'ouvertures dans le triangle du pignon. |
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Document No 18 |
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Si ce n'est la même maison que celle des quatre cartes postales précédentes (on dénombre également 15 rangées de sagne), ce doit être sa sœur. Ici, le devant de la scène est occupé par un accessoire folklorique : un poteau muni d'échelons, appelé escalassoun, auquel le bouvier était censé monter pour surveiller son troupeau. Des trois gardians de la photo, c'est manifestement le plus mince qui est monté.
On a donc fait de ce cas unique un équipement traditionnel de la cabane de gardian. De même que le berger landais du XIXe siècle surveillait ses ouailles du haut de ses échasses, de même le gardian camarguais du XXe siècle se juchait en haut de son mât pour suivre les mouvements de sa manade... |
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Document No 19 |
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Carte postale en
couleur des années 1960. |
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Cette vue intérieure de ce qui est dénommé improprement « mas » et relève en fait de la « maison gardiane », donne une idée des vastes dimensions de ce type de bâtiment. La petite cabane de gardian de l'Amarée du début du XXe siècle tiendrait facilement dans la moitié de cette pièce sans plafond.
Authenticité oblige, la couverture de sagne reste visible depuis l'intérieur et une cheminée vient s'adosser au refend. Faute d'épaisseur, ce refend fait toc et la large porte en enfilade qui s'y ouvre, dénote avec son arc cintré. Des éléments appartenant à l'attirail du gardian sont accrochés au refend.
À en juger d'après la forme de la cheminée, il s'agit de l'intérieur de la « Cabane du Boumian » dans son état originel (voir carte No 23 infra). |
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Document No 20 |
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En général, les vues des des grandes bâtisses à la mode gardiane sont prises depuis l'avant, celles prises depuis l'arrière étant sans doute jugées peu photogéniques. Il en existe cependant quelques-unes qui permettent de voir ce qui se passe à l'arrière des rampants découverts, ainsi que d'observer le nombre et la disposition des baies, entre autres caractéristiques. C'est le cas de cette « maison de gardian », ainsi qu'elle est baptisée, ornant une publicité des laboratoires Phygiène remontant à 1966. Elle est vue de trois quarts arrière gauche mais l'on devine que ce qui a poussé le photographe, c'est la possibilité de saisir la symétrie verticale de la maison et de son reflet en forme de diabolo dans l'étang.
Le surhaussement des rampants est plus marqué en bas qu'en haut. Le versant de toiture ne présente pas plus de douze rangées, celle du bas étant double.
Les baies sont plus hautes que larges, l'une d'elles s'ouvre au milieu de l'arrondi absidial, toutes ont un appui en ciment. Une bande noire (goudron ?) ceint la base de l'édifice. |
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Document No 21 |
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Autre vue de trois quarts arrière gauche d'une maison de même type que la précédente mais un peu plus longue. Le versant de toiture comporte 15 rangées de roseau pour autant qu'on puisse en juger.
La disposition des baies est différente : aucune au centre de l'abside, une de chaque côté de l'abside, une large baie au centre du gouttereau. |
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Document No 22 |
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Carte postale des
années 1950 (bords dentelés, non représentés ici) |
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Cette carte postale de la « Cabane du Boumian » (c'est-à-dire « la cabane du bohémien ») à ses débuts au milieu du XXe siècle est intéressante par la présence de ces curieux murs qui encadrent l'entrée du domaine. Ils sont comme un saisissant raccourci du pignon et du gouttereau du bâtiment : on retrouve, en tête, la pointe latérale du pignon en forme de losange, et, en arrière, le faîtage de tuiles creuses, la chape blanche (réduite à une mince bande) et la rangée de javelles de sagne faisant office de rive. La bande de goudron ceignant le bâtiment principal est également reprise dans cette construction originale quoique baroque.
La cabane est la réplique de celle de la carte précédente. On y dénombre autant de rangées de sagne (15) et les mêmes baies de taille différente selon leur emplacement.
En dehors du restaurant, on aperçoit trois autres cabanes à toit de sagne. Il s'agit de bâtiments qui bordent l'étang des Launes.
Le pylone électrique est le signe que l'on s'éclaire à l'électricité et non plus à la lampe à huile comme au temps de René Baranger (6).
(6) René Baranger dans En Camargue avec Baroncelli, l'auteur, Clichy, 1983, p. 103. |
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Document No 23 |
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Carte postale en couleur des années 1960 (bords denticulés, non
représentés ici). |
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L'intérêt de cette carte postale promotionnelle est de montrer l'intérieur de la partie centrale de la « Cabane du Boumian », là où se tient le restaurant : comme il n'y a pas de plafond, on dîne sous la toiture, en contemplant le chevronnage et l'enduit masquant la sagne. Le vaste volume au-dessus du niveau des murs périphériques verticaux reste inexploité si tant est qu'il soit exploitable. Pour l'agrément des convives, une large baie vitréee a remplacé les deux maigres fenêtres de l'état premier du restaurant aperçu dans la carte No 19. L'éclairage se résume à des bougeoirs posés sur les tables, rusticité oblige... |
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Document No 24 |
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Carte postale
des années 1970 |
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On reconnaît, dans cette vue cavalière (au sens d'aérienne...) la « Cabane du Boumian » et les deux murs en arc de cercle bordant la grande entrée de la propriété.
On note cependant des différences dans la partie absidiale du bâtiment : la couverture de sagne y est plus claire et une baie supplémentaire est apparue dans le mur de base, de plus la chemise de plâtre s'est allongée. La conclusion saute aux yeux : la cabane a fait l'objet d'une extension, une travée a été interpolée entre la partie centrale et l'abside, ce qui signifie que l'abside a dû être démontée puis remontée deux ou trois mètres en arrière !
On distingue, dans la frange de terre bordant l'étang, de nombreuses bâtisses à toiture végétale, toutes tournées vers la mer. |
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Document No 25 |
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Carte postale en couleur des années 1970. |
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Vu depuis l'entrée, le versant de toiture de la « Cabane du Boumian » montre bien la teinte plus claire de la sagne là où l'abside a été reculée. Intérieurement, il doit y avoir deux cloisons, l'une située à l'avant au niveau du conduit de cheminée, l'autre située à l'arrière au niveau du changement de teinte et correspondant à la souche de cheminée présente sur l'autre versant. À l'entrée du domaine, les murs en quart de cercle ont été refaits dans un style plus « méditerranéen » : exeunt tuiles de faîtage, bande de plâtre et frange de sagne, introït un chaperon de tuiles creuses juxtaposées sur leur côté long et inclinées. |
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Document No 26 |
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Carte postale en couleur des années 1970. |
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Les traces de l'extension sont visibles également de l'autre côté ainsi que le montre cette carte vantant un des atouts du site : la sagne est de teinte plus claire sur la croupe de l'abside et sur le versant jusqu'au niveau du conduit de cheminée, là où se trouve la cloison arrière. |
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Document No 27 |
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Carte postale en
couleur des années 1970 (a voyagé en 1972). |
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Baptisée « Maison de Gardians » (7) par l'éditeur de la carte, cette grande bâtisse est effectivement une maison par ses dimensions et son aspect mais elle ne doit le qualificatif « de gardians » qu'aux caractéristiques morphologiques, propres à la cabane de gardian, qui lui ont été données par son architecte : façade en pignon, toiture à deux versants et à croupe, couverture en roseau des marais, blanchiment des murs, enduit à la chaux le long du faîtage, croix inclinée en haut de la croupe, (fausse) souche de cheminée décentrée en haut du pignon. Seule entorse au stéréotype : la symétrie axiale des percements en pignon, innovation permise par la largeur donnée à la bâtisse.
Il suffit de remplacer l'abside et la croupe à l'arrière par un pignon maçonné droit, le roseau des marais par de la tuile plate, de gommer fausse souche et croix de croupe, pour se retrouver avec un pavillon moderne, semblable à ceux construits sous d'autres cieux que ceux de la Camargue.
Ce que l'on observe ici, c'est le stade final de l'évolution de la chaumière camarguaise : la coalescence de la cabane de gardian du début du XXe siècle et du pavillon des années 1970.
Si l'on se reporte 70 ans plus tôt, au spectacle des huttes en roseaux que nous livrent les cartes postales de l'époque, le contraste est saisissant.
(7) « Gardians » au pluriel car il y a manifestement la place pour plus d'un... |
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Document No 28 |
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Carte postale en
couleur des années 1970 |
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Exactement la même vue que précédemment sauf que l'éditeur a rajouté dans le ciel bleu deux traînées nuageuses, assez haut cependant pour qu'il n'ait pas à faire leur reflet dans la roubine (mission impossible...). On compte 13 rangées de sagne sur le versant de toiture; celle de rive, qui est double, est échancrée au-dessus des baies. |
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Document No 29 |
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Carte postale en couleur
des années 1960-1970. |
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Dernier avatar de la maison à la gardiane, ce bâtiment dont on ne voit que le pignon. Il s'agit de l'auberge cavalière du Pont des Bannes évoquée plus haut (document No 5).
Les rampants sont dissymétriques, chose inédite jusqu'ici, et il n'y a pas de pointe (ou corbeau) dans leur partie inférieure. Mais surtout, le triangle du pignon est percé de deux niveaux successifs d'ouvertures, signe qu'il y a un plafond intérieur cachant à la vue la charpente et la couverture de sagne.
Détail amusant, l'éditeur a rajouté dans le bleu du ciel quelques nuages effilochés ressemblant (comme deux gouttes de vapeur d'eau...) à ceux de la carte précédente.
Dans un enclos, quelques chevaux de promenade attendent, stoïques, le client. |
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Document No 30 |
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Carte postale en
couleur des années 1970. |
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La même auberge cavalière, quelques années plus tard : contre le pignon est venu se greffer un bâtiment en rez-de-chaussée, au toit en terrasse correspondant aux deux baies inférieures du pignon.
Un versant de chaume est visible et le nombre de rangées de roseau (une trentaine) donne une idée de l'importante élévation du bâtiment.
Dans une scène spécialement échafaudée pour l'occasion, l'archétype du gardian et son Arlésienne occupent le premier plan tandis que dans l'entrée de la propriété joue un orchestre gitan. Une roulotte des années 1920 renforce cette deuxième composante du folklore des Saintes-Maries-de-la-Mer. Un chien, blasé, tourne le dos à la scène... |
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Document No 31 |
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Carte postale en
couleur des années 1970 (voir les pantalons à pattes d'éléphant). |
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Dans cette vue, prise dans la foulée de la précédente, gardians et gitans sont réunis à l'intérieur de la propriété en une savante composition à la fois statique et animée, dont le point central est la petite danseuse de flamenco. Le chien semble en avoir vu d'autres...
On distingue mieux la configuration du bâtiment accolé au pignon de la maison mais avec cette extension on n'est plus dans l'« architecture gardiane ». |
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Document No 32 |
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Carte postale en couleur des années 1970. |
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La vue de gauche de cette carte postale publicitaire pour l'auberge cavalière du Pont des Bannes nous donne une idée de la démesure de la hauteur sous faîtage de cet édifice hors normes où les convives peuvent contempler la charpente de pannes et de chevrons et le matériau de couverture des versants. Faute de plafond, on s'est contenté d'installer une étroite mezzanine sur un des côtés. Seule la partie absidiale, cachée partiellement à la vue par une haute cloison triangulaire, est dotée d'un étage sur poutres. L'« architecture gardiane » atteint ici ses limites. |
4 - L'« architecture gardiane »
L'« architecture gardiane », le mot est lâché. Le troisième quart du XXe siècle aura vu la floraison de cette architecture issue de l'humble logement de la société rurale camarguaise célébré par le marquis de Baroncelli. Cette architecture, qui pastiche la cabane de gardian du début du XXe siècle tout en faisant place à des aménagements modernes, est la marque distinctive de la Camargue et des Saintes-Maries. Elle aura permis aux cabaniers et à leurs techniques de couverture de perdurer (8).
Mais tout comme leurs prédécesseurs, les cabanes et maisons à la gardiane ne sont pas éternelles. Il y a bien sûr le fait que tout bâtiment a une durée de vie limitée mais aussi les aléas de l'aménagement touristique et immobilier. En ce début du XXIe siècle, l'âge d'or de cette architecture semble bien révolu.
(8) Dans son livre La Camargue gardiane, publié en 1938, le poète camarguais Rul d'Elly (1898-1958) faisait la constatation suivante : « Il n'existe plus actuellement que deux maîtres-cabaniers ayant conservé le secret de ce genre de construction. L'un habite Aigues-Mortes en Languedoc, l'autre, Honoré Gasquet, dit Bosco, et ses fils, au Mas-Thibert » (p. 16). Il ajoutait cependant ceci : « Toutefois, depuis cinq ou six ans, de nouvelles cabanes se sont élevées autour de Sainte-Marie; elles donnent asile aux gardians du mas de "Simbèu" ou à des félibres de la région » (p. 26). Dix ans plus tard, l'ethnologue camarguais Carle Naudot, dans son livre Camargue et gardians, achevé en 1948 mais publié seulement en 1977, à titre posthume, donnait comme « constructeurs de cabanes » le même « BOSCO au Mas-Thibert » et un certain « VEROLET aux Saintes-Maries-de-la-Mer ».
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Le 12 avril 2009 / April 12th, 2009 - Augmenté le 18 avril 2009 - 3 mai 2009 - 13 août 2009 - 3 septembre 2009 - 18 mai 2010 - 13 mars 2011 - 19 mars 2021 - 10 mai 2021 - 3 avril 2022 - 25 janvier 2023
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Référence à citer / To be referenced as :
Christian Lassure
L'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle d'après des cartes postales et photos anciennes (The evolution of the Camarguaise hut in the 20th century as shown in old postcards and photos)
XI - Cabanes hôtelières et maisons à la gardiane (Gardian-style hotel huts and houses)
http://www.pierreseche.com/maisons_gardianes.htm
12 avril 2009
Introduction : Le gardian et ses métamorphoses
I - Cabanes entièrement en roseau des années 1900
II - Le mas de l'Amarée et ses deux cabanes aux Saintes-Maries-de-la-Mer
III - Les cabanes du premier mas du Simbèu aux Saintes-Maries-de-la-Mer
IV - Les cabanes du « deuxième mas du Simbèu » aux Saintes-Maries-de-la-Mer
V - Cabanes et maisons de pêcheurs en Camargue
VI - Les « Cabanes de Cacharel » aux Saintes-Maries-de-la-Mer
IX - Van Gogh et les chaumières saintines
X - Cabanes du front de mer aux Saintes-Maries-de-la-Mer
XI - Cabanes hôtelières et maisons à la gardiane
XII - Vocabulaire architectural de la chaumière camarguaise
XIII - Les auvents dans la cabane de gardian
XIV - Les extensions de la cabane de gardian
XV - Cabanes représentées sur le plan de la Camargue de 1584