L'ÉVOLUTION DE LA CABANE CAMARGUAISE AU XXe SIÈCLE
D'APRÈS DES CARTES POSTALES ET PHOTOS ANCIENNES

 

Christian Lassure

 

III - LES CABANES DU PREMIER MAS DU SIMBÈU AUX SAINTES-MARIES-DE-LA-MER

 

1 - Le mas

Document No 1

Cette rare carte postale du début des années 1930 (si l'on en juge d'après la bordure blanche, le ton sépia du document, et surtout la carrosserie des voitures automobiles de la scène), est intitulée « Lou Simbeu, propriété du marquis de Baroncelly » (sic). Elle représente le mas du Simbèu, construit  par Folco de Baroncelli pour se loger et abriter ses activités de manadier après son départ du mas de l'Amarée en octobre 1931. C'est en souvenir d'un taureau, le Pavoun, tué à coups de révolver par des inconnus en 1919, que le marquis donna à son nouveau mas ce nom de « Simbèu », terme provençal ayant pour acceptions  « enseigne », « point de mire », « appeau », et qui est appliqué au vieux taureau castré portant une sonnaille et servant de dountaïre (« dompteur ») auprès des bêtes du troupeau plus agressives.

Carte postale du début des années 1930.
Légende : Lou Simbeu, propriété du marquis de Baroncelly (sic) / Lous Simbeu, marquis of Baroncelly's cottage (sic).
Éditeur : Aprin.

À la gauche de la maison de maître – laquelle est la réplique quasi exacte de la maison de l'Amarée (1) – on distingue la plus petite des deux cabanes attachées au mas, elles aussi copies conformes des cabanes de l'Amarée.

Le mas du Simbèu se dressait sur les terres de Barthélémy appartenant au marquis, dans le communal des Saintes-Maries-de-la-Mer. Il fut construit grâce à l'appui financier du gendre du marquis, Gaston Bonis, et à des emprunts (2). Le nouvel édifice reprenait la disposition des lieux du mas de l'Amarée (pour le rez-de-chaussée : à gauche, la cuisine, au centre la salle à manger avec la porte d'entrée, à droite l'écurie; pour l'étage : à gauche et au milieu, les chambres, à droite la fenière). Mais alors que le mas de l'Amarée était le résultat d'ajouts successifs, sa réplique était évidemment d'un seul tenant et d'une rectilinéarité parfaite.

(1) À l'Amarée, l'appentis appuyé contre le pignon de droite n'a pas d'étage.

(2) Selon René Baranger, dans En Camargue avec Baroncelli, l'auteur, Clichy, 1983, p. 103.

 

Document 2

Une autre vue du mas du Simbèu, une photo publiée en 1948 dans Terre de Camargue (Terro camarguenco) (p. 88), révèle le pignon occidental de la ferme mais surtout la grande cabane absente de la vue précédente. Chaque cabane est accompagnée d'une hutte de sagne à un versant de toiture abritant la réserve d'eau potable. Dans l'espace entre les deux huttes on aperçoit l'automobile du marquis.

 

Photo : le mas du Simbèu, la ferme et les deux cabanes de gardian.
Source : Terre de Camargue (Terro camarguenco) d' Henri Marc, Carle Naudot et Victor Quenin, Arthaud, 1948, p. 88.

 

 

Document No 3

Sur cette carte postale des années 1930 rééditée dans les années 1950 d'après la présence de bords dentelés, le marquis de Baroncelli-Javon pose, à cheval, devant le mas du Simbèu. Derrière le cavalier vêtu du costume des fêtes gardianes (veste de velours noir à soutache, chapeau de feutre, jambières en étoffe de laine à carreaux) et armé du trident, se dresse la façade bien lisse du nouveau mas. On remarque que les fenêtres sont toutes dotées d'un moustiquaire extérieur. La cloison de roseaux derrière le marquis sépare la partie d'exploitation (à droite) de la partie d'habitation (à gauche).

Carte postale des années 1930 rééditée dans les années 1950 (bords dentelés).
Légende : SAINTES-MARIES DE LA MER (Camargue). Le poète manadier marquis Toles de Baroncelli-Javon devant son mas « Lou Simbèu ».
Éditeur: Photo George - Arles-sur-Rhône.

Selon René Baranger (3), l'emménagement au mas du Simbèu ne se fit pas sans essuyer quelques plâtres (au propre comme au figuré). Il en rapporte, non sans humour, une des péripéties dans son livre :
« Le marquis a (...) été traumatisé par son départ de l'Amarée.
Est-ce la fatigue ou la dépression qui le sensibilise, au point qu'il devient d'une émotivité extrême.
Dans sa jeunesse, il a assisté, à Bellecôte, à des séances de spiritisme. L'esprit, qui communiquait avec les habitants du domaine faisant tourner les tables, répondait au nom de Cassiopilate; c'était un esprit vindicatif. Bien souvent, le Marquis attribuait la suite de ses ennuis, de ses déboires, à cet esprit maléfique (...).
Ainsi, lorsqu'il se trouva seul, dans son nouveau mas, fraîchement bâti, encore inachevé, fut-il pris de crainte et même de peur pendant la nuit. Son imagination excitée croyait entendre des coups dans la demeure, des pas sur le toit, tant et si bien que je dus passer plusieurs nuits, couché sur un lit de camp dans le couloir du premier étage afin de le rassurer.
Je dois reconnaître qu'il y avait des bruits. Des craquements, des secousses se faisaient entendre; mais cela n'était pas dû à l'œuvre vindicative de Cassiopilate, simplement, au fait que les matériaux séchaient, se posaient, prenaient leur place dans l'immense bâtisse. La nuit, les bruits insolites sont toujours inquiétants, cependant, ma présence dans le couloir où rien ne se passait, finit par rassurer le Marquis.
Quelques jours plus tard, Riquette (4), revenant d'Avignon reprit sa place au mas et les frayeurs de son père s'estompèrent. »

(3) Cf. En Camargue avec Baroncelli, op. cit., pp. 117-118.

(4) Il s'agit de Frédérique de Baroncelli, la troisième fille du marquis. Née le 7 mars 1908, elle épouse Henri Aubanel, libraire à Avignon, le 25 avril 1933.

 

Document No 4

 

Selon toute vraisemblance, cette photo a été prise le même jour que la précédente. Tout harnaché, le cheval du marquis attend sagement devant l'entrée de l'écurie, à côté des poules et du coq qui logent dans l'appentis. Sur le troussequin de la selle, se devinent les lettres F.B, initiales de Folco de Baroncelli. Un rang de cinq anneaux d'attache barre la façade entre la porte de l'écurie et celle de l'appentis. Au delà de la clôture, on aperçoit le faîtage de la plus petite des deux cabanes dépendant du mas.

 

Carte postale photographique des années 1930 et 1940 ayant circulé le 16 septembre 1941 d'après le tampon de la poste.
Aucune légende au dos.
L'éditeur : non indiqué.

 

L'intérêt de cette carte est non seulement  le spectacle familier des animaux du mas sur la vue mais aussi l'inscription manuscrite au dos, signée « C Naudot lou Camarguen » et destinée à « Monsieur L. Beaugadier mestre en gay saber  ». C'est le salut amical, depuis la Camargue, du photographe et ethnologue camarguais Carle Naudot (5) à un mainteneur ou maître en gai savoir du Félibrige à Béziers.

 

(5) Carle Naudot (1880-1948), auteur de Camargue et gardians, ouvrage de référence (publié posthumément en 1978) sur la Camargue de la première moitié du XXe siècle.

 

Agrandissement de détail : initiales F B réalisées en clous de tapissier au dos du troussequin de la selle du marquis Folco de Baroncelli. Sur le côté du pommeau pendent des gants en cuir.

 

2 - Les cabanes

Document No 1

Cette vue du mas du Simbèu prise dans les années 1930 met l'accent sur les deux cabanes, la grande (à l'avant), la petite (à l'arrière), censées servir de logements aux bouviers. La maison de maître, quoique dissimulée aux trois-quarts par la cabane du premier plan, est bien reconnaissable.

La petite cabane est fermée, aucune trace d'occupation n'est visible (6). Par contre, la grande cabane a une toile fixée à sa porte, et deux personnages, un homme et une femme, se tiennent devant le pignon-façade.

On note la présence d'une haute bâtisse tout en roseau, en forme d'appentis et à la porte grillagée, entre la petite cabane et la roubine (réserve d'eau ?). 

(6) Elle semble cependant avoir servi de logement à Réné Baranger : « J'ai pris possession d'une autre petite cabane semblable à la précédente et j'ai essayé de m'y organiser comme précédemment. Batistou est encore mon compagnon de chambrée. Il se complaît toujours dans ses petites manies vestimentaires » (cf. En Camargue avec Baroncelli, op. cit., p. 117).

 

Carte postale des années 1930 et 1940 (bordure blanche).
Légende : Stes-MARIES-DE-LA-MER. « Lou Mas dóu Simbèu ».
Éditeur : PHOTO GEORGE - ARLES-SUR-RHONE

 

 

Document No 2

Dans ce cliché, datant également des années 1930, le marquis de Baroncelli pose à l'angle de la grande cabane du mas du Simbèu, celle destinée au baile-gardian ou régisseur (7). Aux dires de René Baranger (8), c'est une des dernières photos du Marquis, donc datant plutôt de la fin des années 1930 puisque ce dernier est mort en 1943.

(7) Sur un autre exemplaire de cette carte-photo que nous avons eu l'occasion de consulter, une main anonyme avait écrit au dos « La cabane de Mr. le marquis de Baroncelli en Camargue ». Dans leur livre Terre de Camargue (Terro Camarguenco), paru chez Arthaud en 1948, H. Marc, C. Naudot et V. Quenin la dénomment « La cabano dóu marqués au Simbèu » / « La cabane du marquis au Simbèu » (p. 92).

(8) Cf. En Camargue avec Baroncelli, op. cit.

Carte postale des années 1930 et 1940 (bordure blanche).
Légende au dos : Ferme dans la Camargue.
Éditeur : GEORGE - ARLES-SUR-RHONE.

 

Sur cette autre édition de la même carte postale, l'éditeur George a fait figurer l'inscription "Lou mas dóu Simbèu / nouvelle demeure du marquis de Baroncelli", phrase qui porte à confusion car amalgamant la cabane de l'ouvrier agricole avec le  mas du manadier, édifice qui est hors champ mais bien réel et distinct architecturalement et socialement.

 

 

Document No 3

À en juger d'après la forme de la souche de cheminée, la configuration de la chape de plâtre sur le faîtage, le nombre de couches de sagne, le portillon en bois, on a affaire à la même cabane que dans la carte précédente. Les seules différences notables sont, outre la saison (l'été au lieu de l'hiver, les tamaris ayant leurs feuilles) et la fraîcheur du badigeon blanc recouvrant les murs (le seau à badigeon est visible à gauche du portillon), la présence au-dessus de l'entrée en pignon d'une tête de taureau peinte à gauche d'une inscription sur trois registres :

CABANO
DÓU
SIMBÈU

Les deux gardians qui conversent sur le côté de la cabane tiennent un harpon à la main pour faire couleur locale. Le personnage de droite pourrait bien être le marquis de Baroncelli. Sauf erreur, on est ici vers la fin des années 1930, d'après le gain d'épaisseur du tamaris à gauche.

Carte postale des années 1930 et 1940 (bordure blanche).
Légende au dos : Les Saintes-Maries-de-la-Mer. Camargue - Cabane de Gardians.
Éditeur : L. Roisin.

 

 

Document No 4

 

Une photo du pignon vu de face nous fait voir de plus près la tête du taureau conducteur avec sa clochette. La signature de l'auteur apparaît, à peine visible, sous le poitrail de la bête.

 

Photo de teinte sépia tirée d'un article de revue de 1937 : La Camargue, patrie des "Guardians" (sic) ou Cowboys de Provence.

Les cornes du taureau sont caractéristiques des bêtes camarguaises : au lieu de s'écarter de chaque côté du front comme chez la plupart des espèces bovines, les cornes sont plantées verticalement avec une courbure qui les rapproche vers les pointes.

 

 

Document No 5

Au dos de la carte postale des années 1930 ci-dessous, une main anonyme a rajouté : « Telles sont les cabanes des gardians et telle est la Camargue ». Les cabanes en question sont toutes neuves, le sol autour d'elles est nu et nivelé, le chantier vient de se terminer. Il s'agit manifestement du mas du Simbèu, photographié peu de temps après l'achèvement des travaux.

La photo est prise depuis l'arrière des cabanes. On distingue l'angle d'un des pignons de la maison à l'extrême gauche et le dos de l'appentis entièrement végétal au centre, au bord de la roubine.

Carte postale des années 1930 et 1940 (bordure blanche).
Légende :  Aucune. Une main anonyme a rajouté au dos cette sentence : « Telles sont les cabanes des gardians et telle est la Camargue ».
Éditeur : GEORGE - ARLES.

 

 

Document No 6

« Cabannes de gardians du Mas du Simbèu », nous dit la légende, à l'orthographe approximative, de cette carte de l'éditeur d'Arles, George. Il s'agit de la même vue que celle de la carte précédente, mais plus rapprochée. Le bord dentelé de la carte est la marque des années 1950 mais le cliché est antérieur d'une vingtaine d'années, ayant manifestement été pris à la même date que le cliché précédent. 

Carte postale des années 1950 (bords dentelés).
Légende : SAINTES MARIES DE-LA-MER (sic) - Cabannes (sic) de gardians du Mas du Simbèu
Éditeur : Photo GEORGE - Arles-sur-Rhône

 

3 - La destruction du mas

Comme leurs modèles du mas de l'Amarée, les cabanes du mas du Simbèu n'ont pas survécu. À vrai dire, leur durée de vie ne dépassa pas une douzaine d'années. C'est que le mas du Simbèu fut réquisitionné par l'armée allemande en 1943 (après qu'elle eut envahi la zone libre en 1942) et transformé en place forte avant d'être finalement démoli à l'explosif en 1944 de peur que les Alliés ne s'en servent lors de leur débarquement en Camargue.

Malgré leur très faible longévité, nos deux répliques des cabanes de l'Amarée n'en ont pas moins servi, comme leurs modèles, à la promotion, par le biais des cartes postales de l'éditeur arlésien George, de la cabane camarguaise évoluée à murs en dur.

 

Document No 1

Le rapport entre cette cinquième carte postale et le mas du Simbèu, réside dans le fait que la scène se situe à l'emplacement du mas démoli : le tombeau devant lequel un gardian semble monter la garde, n'est autre que celui érigé en 1951 pour le Marquis de Baroncelli, mort en 1943 à Avignon. Dans En Camargue avec Baroncelli (9), René Baranger décrit ainsi le mausolée : « C'est une dalle de pierre claire, reposant sur un support de trois marches circulaires. Sa tête reposera sous la place de son ancien foyer et son corps sera orienté vers le clocher des Saintes ».

(9) Cf. En Camargue avec Baroncelli, op. cit., p. 159.

 

Carte postale des années 1950 et 1960 (bords dentelés).
Légende : SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
Tombeau du Marquis de Baroncelli.
Éditeur : information non disponible.

 Les pierres du support de la tombe proviendraient des décombres du mas du Simbèu. Le monument est toujours visible en cette deuxième décennie du XXIe siècle ainsi qu'on peut le constater sur les vues de Google Earth. À une centaine de mètres au sud-est de la sépulture, on aperçoit deux cabanes, une grande et une petite, repérables à leur abside et à leur chemise faîtière blanche. Ce groupement a eu les honneurs des cartes postales semi-modernes dans les années 1950 et1960 ainsiqu'on le verra dans le chapitre suivant, Les cabanes du « deuxième mas du Simbèu » aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

À SUIVRE


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Référence à citer / To be referenced as :

Christian Lassure

L'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle d'après des cartes postales et photos anciennes (The evolution of the Camarguaise hut in the 20th century as shown in old postcards and photos)
III - Les cabanes du premier mas du Simbèu aux Saintes-Maries-de-la-Mer (The huts of the earlier mas du Simbèu at Saintes-Maries-de-la-Mer)
http://www.pierreseche.com/premier_mas_du_simbeu.htm
6 septembre 2008

 

Introduction : Le gardian et ses métamorphoses

I - Cabanes entièrement en roseau des années 1900

II - Le mas de l'Amarée et ses deux cabanes aux Saintes-Maries-de-la-Mer

III - Les cabanes du premier mas du Simbèu aux Saintes-Maries-de-la-Mer

IV - Les cabanes du « deuxième mas du Simbèu » aux Saintes-Maries-de-la-Mer

V - Cabanes et maisons de pêcheurs en Camargue

VI - Les « Cabanes de Cacharel » aux Saintes-Maries-de-la-Mer

VII - Cabanes classiques

VIII - Intérieurs de cabanes

IX - Van Gogh et les chaumières saintines

X - Cabanes du front de mer aux Saintes-Maries-de-la-Mer

XI - Cabanes hôtelières et maisons à la gardiane

XII - Vocabulaire architectural de la chaumière camarguaise

XIII - Les auvents dans la cabane de gardian

XIV - Les extensions de la cabane de gardian

XV - Cabanes représentées sur le plan de la Camargue de 1584

 

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