DISPOSITIFS D'IRRIGATION À NONZA AU CAP CORSE (HAUTE-CORSE) Irrigation devices at Nonza in the Cap Corse region, Haute-Corse Jean-Pierre Guillet
Introduction Les rapports qui vont suivre devront être pris comme ce qu’ils sont, à savoir « mieux que rien ». En premier lieu, je ne suis ni archéologue, ni historien ni architecte ou quoi que ce soit qui me permette d’asséner des conclusions irréfutables. Les explications et hypothèses que j’émettrai ont donc pour but d’être soumises un jour ou l’autre à des professionnels qui utiliseront efficacement, eux, les données rapportées.
On pourra en dire autant des mesures, dessins et photos associés. Le tout répond à une nécessité pressante avancée par l’Association des amis du site de Nonza (1), à savoir inventorier le petit patrimoine du village et des environs et en archiver le maximum de ce qui risque d’être utile par la suite en ne perdant pas de vue la dégradation permanente de celui-ci. Un même travail mais professionnel effectué dans cinq ou dix ans pourrait bien ne plus disposer d’autant de données que nous en recensons actuellement. Or le sujet abordé est considérable. Entre terrasses proprement dites, bergeries, systèmes d’irrigation, voies de communication, etc., il y a de quoi remplir des volumes entiers. Et peu de bénévoles pour le faire.
J’ai commencé par m’attacher à la distribution de l’eau à cause de la fascination qu’ont exercée certaines solutions anciennes au problème de l’irrigation de quelques zones. J’ai employé parfois le terme d’ouvrage d’art et ne me rétracterai pas là-dessus. On rencontre autour du village des merveilles de technicité édifiées avec des moyens qui auraient pu être ceux du néolithique (par exemple en remplaçant le ciment par de l’argile, etc.). Mais il faut aussi prendre conscience de la complexité du réseau de conduite de l’eau qui allie méthodes de construction rustiques et élaborées, maîtrise de la géométrie du terrain (bon, la topographie avant la lettre), maîtrise des débits pour obtenir une distribution équitable sur toutes les surfaces concernées et, bien entendu, véritable législation assurant la gestion de cet outil. Il serait très intéressant qu’un véritable chercheur reconstitue le graphe orienté que dessinait le réseau. Je ne serais pas étonné s’il aboutissait à constater parfois l’existence de circuits redondants permettant de desservir des zones même en cas de dégradation de l’alimentation principale. Soit dit en passant, exactement ce qui fait, de nos jours, l’efficacité de l’Internet… J’aimerais que les lecteurs m’aident à améliorer ma terminologie, par exemple en disant s’il faut parler de caniveaux ou de canaux, etc. (2). J’aurai également plaisir à apprendre les termes vernaculaires, pourquoi pas de différentes régions. 1 - LE CANIVEAU SUSPENDU DU VALLON DE PISCHINA Cet ouvrage d’art se trouve au nord de Nonza, légèrement en dessous de la route de Nonza à Albo et du pont qui permet de franchir le ruisseau de Pischina. Il traverse les parcelles 43 et 46, section A, du plan cadastral.
Sa construction a été motivée par la volonté d’arroser des terrasses bien exposées mais mal desservies par les ruisseaux locaux. Leur position est notée T sur les photos 2a et 2b. Le ruisseau le plus intéressant est noté R. Juste avant d’arriver à proximité des terrasses, il cascade le long de la falaise F.
L’eau se trouve alors à une dizaine de mètres plus bas et aller la puiser dans des récipients de capacité limitée en remontant ensuite une pente très abrupte a de quoi décourager. Les cultivateurs ont alors décidé de s’investir dans la construction d’un système d’amenée d’eau à tous points de vue remarquable. Sur le plan, le tracé (à main levée) du caniveau est le trait rouge et on retrouve la falaise F et les terrasses T. Le seul cheminement possible (vérifié sur place) est celui-ci. Plus bas, il ferait aboutir l’eau détournée dans une zone où elle cascaderait presque au même endroit de la falaise que l’écoulement naturel et ramènerait au problème initial : hisser des seaux sur une importante dénivelée. Plus haut, il faudrait aller effectuer le prélèvement dans le ruisseau en amont du pont en accrochant un caniveau sur la base de voûte de celui-ci. Exclu. Il fallait donc, en acceptant que l’eau n’arrive qu’à mi-hauteur des terrasses, couper la poire en deux. Couper deux poires, en fait, parce que ce trajet « idéal », dans la partie BC, rencontre un surplomb rocheux… De A à B, tout allait bien et on pouvait se contenter d’une construction classique, celle qu’on voit sur le panorama de figure 5, établie sur le flanc d’une pente somme toute modérée.
À partir de B, les conditions changent comme on peut le jauger sur les images 4 et 5. L’image 4 est prise depuis un point de la route situé légèrement au sud du pont. Le massif rocheux rencontré est noté S (surplomb).
On constate combien le terme de surplomb est justifié en regardant la photo 5. Elle est prise en C, donc un peu à l’ouest de l’obstacle. Il fallait passer par là ou renoncer.
Les intéressés ont décidé de passer. On voit sur la figure 8 un panoramique du résultat. Depuis la fin de la zone sans difficultés (moitié droite), ils ont édifié soit en pierre sèche, soit en appareil cimenté, une structure de support du caniveau.
Une vue plus fouillée en figure 9.
On constate : Que les structures de soutien sont restées stables à travers des décennies (les terrasses étaient déjà abandonnées quand j’ai fait connaissance avec Nonza, il y a bientôt 35 ans). Or certaines, comme on le voit sur la photo, sont en appui sur des aspérités inclinées vers le vide, donc a priori instables. Les constructeurs avaient un savoir-faire certain… La partie caniveau proprement dite est réalisée à l’aide de briques. Ceci n’exclut pas que la version plus ancienne ait été à base de lauzes comme la partie « facile » AB et la partie ouest CD. Une fissure verticale du rocher a obligé à réaliser un enjambement dont la partie en briques a survécu malgré un effondrement probable de l’appareil de soutien. Tout le long de l’ouvrage, le rocher semble offrir un léger renfoncement propice à la construction. Je ne crois pas à la Providence Systématique et pense donc qu’il a pu y avoir creusement du rocher pour améliorer les conditions de construction. Pour le confirmer, de même que pour analyser plus en détail l’ensemble, il faudrait s’encorder et descendre en vis-à-vis de l’ouvrage. Une vue très rapprochée du surplomb – prise depuis C au prix de quelques acrobaties – en figure 9.
Les conditions défavorables de luminosité (soleil intense avec de forts contrastes) permettent quand même de voir l’arrivée du caniveau avec une dernière brique de bord. On y vérifie l’aspect « trop bien léché » de la base rocheuse, renforçant le soupçon de creusement humain. On note qu’un utilisateur qui devait arroser des plantations à quelques hectomètres de là a utilisé l’ancien trajet de l’eau pour passer un tuyau Plymouth qui aurait mal supporté la descente le long de la falaise. On le voit d’ailleurs sur d’autres clichés. Juste après C, une transition assurée par un mur de soutènement cimenté est figurée en 9.
En contrebas, la lame de schiste de la figure 12 a probablement fait partie du fond du caniveau avant d’être déchaussée par les animaux et/ou les intempéries.
Entre C et D (la partie nord de la falaise) on voit (ou on devine) le trajet du caniveau redevenu de type classique. Il a alors été très dégradé comme on le voit sur la figure 13.
Je n’ai pas trouvé de traces du trajet ultime près de la falaise, celui qui conduisait l’eau vers un bassin que j’avais vu autrefois mais qui est maintenant enfoui dans un maquis dense. Pour l’instant, je ne dispose pas de données chiffrées des dimensions en jeu. (1) Association des amis du site de Nonza, siège social 20217 NONZA
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Jean-Pierre Guillet page d'accueil sommaire terrasses 1 - Le caniveau suspendu du vallon de Pischina 2 - Le caniveau suspendu des parcelles à Limea 3 - Le caniveau suspendu des terrasses à Croce 4 - Les caniveaux sur le ruisseau du couvent 5 - Le déversoir suspendu de Navacella 6 - Les deux grands caniveaux de Vaccile 7 - La fontaine de parcelle 140 8 - Les réservoirs 9 - Le réseau d'irrigation sur le chemin de Nonza à Olcani - Partie basse 10 - Le réseau d'irrigation sur le chemin de Nonza à Olcani - Partie haute 11 - Les conduits de facture industrielle 12 - Les passages sous la route 13 - Les réservoirs (1re partie) 14 - Les réservoirs (2e partie) 15 - Synthèse des observations des irrigations anciennes de Nonza 16 - Une passerelle en pierre sèche à Nonza (Haute-Corse) 17 - Un réservoir, des canaux et une énigme à Nonza (Haute-Corse) 18 - Réflexions sur quelques énigmes du patrimoine rural de Nonza (Cap Corse) |