UN RÉSERVOIR, DES CANAUX ET UNE ÉNIGME A NONZA (HAUTE-CORSE) A reservoir, channels, and a puzzle at Nonza, Haute-Corse Jean-Pierre Guillet
Pour accéder aux ouvrages en pierre sèche enfouis dans une inextricable broussaille, trois procédés (au moins) sont envisageables : le défrichage, la croissance d’une haute futaie qui prive les épineux de lumière et l’incendie du maquis. Le troisième est très difficile à maîtriser et entraîne beaucoup plus de dégâts que d’avantages ; le second implique de disposer de décennies devant soi ; le premier est donc le plus conseillé, surtout quand quelqu’un d’autre s’en charge. Ce fut le cas pour les parcelles évoquées dans ce rapport et j’en remercie les propriétaires qui m’ont ainsi permis d’affronter de pittoresques points d’interrogation.
La figure 1, extraite du cadastre de 1975, montre, en rouge, les deux parcelles en question, 336 et 337. Elles sont très proches de la 360 où se trouve la passerelle en pierre sèche décrite dans un précédent rapport, en fait juste de l’autre côté du chemin.
Dans le coin sud de la parcelle 337 se trouve un réservoir d’une capacité d’environ 6 m3 (3×2,4×0,8 m). On le voit – figuré en bleu - en figure 1. Il est alimenté via un court canal suspendu descendant avec une pente d’une dizaine de degrés de la terrasse dominante (qui est encore envahie de broussaille et donc n’a pu être explorée). En son point bas, il se divise en deux déversoirs. Le premier va vers le réservoir lui-même alors que le second traverse le mur de la parcelle 333 et se déverse dans un nouveau canal suspendu de faible pente orienté vers le sud-ouest et que j’ai pu suivre sur une quinzaine de mètres (dans la broussaille). Après avoir servi comme canal classique en lauzes cimentées, il est devenu un simple support pour un conduit cylindrique en fibro-ciment comme on le voit sur la figure 3.
Autrefois, quelques tuyaux du même type desservaient les surfaces observées. Aujourd’hui, un réseau de Plymouth a pris la relève. Au final, cet ouvrage d’intérêt moyen, s’il mérite quand même d’être mentionné, ne figure pas parmi les plus spectaculaires. C’est une autre structure – très discrète sur le terrain – qui, en fait, l’éclipsera. Pour la découvrir, il faut revenir au plan cadastral de la figure 1. Partant du coin nord-ouest de la parcelle 336, une sorte d’appendice du chemin principal (les voies ont été colorisées en kaki) suit la frontière entre la 335 et nos deux parcelles étudiées. Il ne va pas plus loin et on peut même avancer, selon le plan, que son tracé a été prélevé sur la 335. Une évaluation de sa largeur conduit à « inférieure à 1 m », ce qui en ferait un modeste sentier. La situation se complique quand on passe à l’observation sur le terrain. Parce qu’à l’emplacement en question, il y a un mur, au niveau du sol côté est et côté ouest surplombant de 2,20 m la 335. Coiffé d’ailleurs de ronces et autres qui ne facilitent pas l’observation. Mais on est bien forcé de noter que : côté est, de petits murets de quelques décimètres de haut non représentés sur le cadastre aboutissent tout contre le mur susdit sans s’interrompre pour laisser passer le sentier ; au coin sud-ouest, le sentier aboutit à un angle de deux murs montant tous deux à deux mètres environ et sans escalier pour continuer, un cul de sac donc… Je me refusais à envisager l’explication d’un acte gratuit de vingt deux mètres cinquante de long et de pas mal de quintaux. C’est alors que l’idée m’est venue de consulter l’ancien cadastre de 1861. Il y a plus d’un siècle et demi, le phénomène était déjà là avec des proches parcelles bien superposables aux actuelles! Voyez la figure 4.
Il fallait d’autres informations. Un examen du côté gauche du chemin principal à hauteur du début du sentier a fourni l’image 5. Avec un peu d’attention, on distingue deux lames de schiste qui semblent être des marches subsistantes d’un escalier qui permettait d’accéder à la crête du mur. De quoi inciter à mieux examiner celle-ci.
La photo 6, prise depuis la parcelle 335 montre des lauzes horizontales dépassant de l’appui du mur. Si elles constituaient une piste arpentable, il fallait qu’elles soient consolidées quelque part pour supporter le poids des passants.
Revenu dans la parcelle dominante, j’ai sondé le sommet du potentiel sentier avec mon bâton enfoncé verticalement à travers le roncier. Plusieurs essais en une demi-douzaine d’endroits ont révélé un profil du type de celui représenté en 7. Il y avait bien consolidation.
Reste alors à répondre au « pourquoi ? » quant à la construction de ce déconcertant ouvrage. Comme la passerelle évoquée plus haut, il devait présenter une certaine importance pour avoir été et construit et ensuite maintenu pendant au moins un siècle et demi avec en sus le statut de voie communale. Comme il ne sert pas à contourner un obstacle géographique, on l’imagine volontiers désenclavant des parcelles cultivées. Mais pourquoi diable avoir choisi une solution si tordue ? Je ne doute pas qu’il puisse être imaginé diverses explications. Je vous expose la mienne malgré que, en toute logique, elle ne me satisfasse pas complètement. Le sentier est très vieux, plus vieux que le cadastre de 1861. Assez pour avoir assuré entre les parcelles un cheminement étroit mais bien utile aux cultivateurs à l’époque où les terrasses de cette zone n’avaient pas été édifiées. En clair, il était alors au niveau du sol d’origine, un sol naturellement en pente vers l’ouest. Puis est venu le temps l’amélioration de l’arrosage, les avantages ergonomiques d’un sol cultivé plus horizontal, d’un épierrage sérieux, etc., a conduit les propriétaires à entreprendre le chantier collectif et donc pharaonique de mise de la zone en terrasses. Et le sentier était toujours là et toujours nécessaire. Que s’est-il passé alors ? Il eut été plus rationnel, puisque un mur de soutènement allait tout naturellement séparer les parcelles entre lesquelles il passait depuis un bail, qu’un arrangement – avantageux au final pour toutes les parties – le déplace à l’est ou à l’ouest, quitte dans ce dernier cas à se coltiner en plus la construction d’un escalier (éventuellement à marches flottantes). Y a-t-il eu entre propriétaires assaut d’entêtement comme toutes les communautés agricoles (et autres) de tous les temps et de toute la planète en ont connu ? Ce n’aurait pas été la première illustration du principe cher aux shadoks « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ». Toujours est-il qu’on a choisi la crête du mur… Je vous laisse sur cette hypothèse qui n’est pas la première de mes rapports. En vous encourageant, bien sûr, à en trouver de plus logiques qui me mettraient l’esprit en repos. Adresses utiles : (1) Association des amis du site de Nonza, siège social : 20217 NONZA (2) jeanpierreguillet[at]free.fr
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